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ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 454, 2012 23 TRAVAIL -EMPLOI Définition et mesure de la qualité de l’emploi : une illustration au prisme des comparaisons européennes Mathilde Guergoat-Larivière* et Olivier Marchand** * Centre d’Etudes de l’Emploi et Centre d’Economie de la Sorbonne (Université Paris 1). ** Direction des Statistiques Démographiques et Sociales, Insee. 1La polarisation de l’emploi est un processus bien caractérisé aussi bien aux États-Unis (Autor et al. 2006 ; Autor et Dorn, 2013) qu’en Europe (Goos et al., 2009) : alors que les métiers de niveau de qualification intermédiaire régressent, les emplois peu ou très qualifiés connaissent au contraire une
progression soutenue dès lors qu’ils sont non routiniers. Cette tendance augmente les inégalités « par le haut », mais elle se nourrit également du renouveau des emplois non qualifiés à partir des années 1980 aux États-Unis (Appelbaum et al., 2005 ; Carré et Tilly, 2012) et des années 1990 en France (Méda et Vennat, 2004 ; Burnod et Chenu, 2001). 2Ces
transformations, dont l’origine est traditionnellement attribuée à la fois aux changements technologiques et à la mondialisation, s’inscrivent dans une modification majeure de la structure sectorielle des emplois : la part dans l’emploi des professions rémunérées à un niveau intermédiaire a diminué tandis que celles des cadres d’un côté et des employés des services non ou peu qualifiés de l’autre, ont cru rapidement. Or les emplois du nettoyage, au sens où l’intitulé de leur profession
stipule expressément cette activité (voir encadré), représentent une part essentielle de cette catégorie. Ces professions sont ainsi exercées par 8 % des salariés (et plus de 14 % des femmes en emploi), soit plus d’un emploi non qualifié sur trois. Leur nombre continue par ailleurs de croître à un rythme plus rapide que l’emploi salarié dans son ensemble (Argouarc’h et al. 2015). Cette évolution alimente, au moins pour une part, la polarisation au sens où elle accroît la part
des emplois du bas de la distribution des salaires et cela d’autant plus que ce segment cumule un grand nombre de désavantages en termes de niveau des rémunérations, de temps de travail, de conditions de travail ou encore de reconnaissance sociale. 3Les préconisations de politiques publiques issues de la littérature sur la polarisation sont, pour une large part, centrées sur les modalités
par lesquelles les individus qui occupent les postes appelés à disparaître (qualifiés routiniers) pourraient acquérir les compétences requises pour rejoindre le segment du haut de la distribution des emplois : les emplois qualifiés non routiniers. Cette stratégie ne traite cependant pas de la situation des segments les plus dégradés du marché du travail appelés à croître, à l’image des métiers du nettoyage. Pour ces derniers, le développement des formations peut éventuellement faciliter la
mobilité des individus mais ne règle pas la question du développement des « mauvais emplois ». Or, si certains d’entre eux apparaissent, au moins partiellement, comme des emplois temporaires ou de transition (comme dans le commerce de détail, la restauration ou la livraison à domicile), les métiers du nettoyage se présentent plutôt comme des « trappes » ou des « cul-de-sac ». Accepter leur mauvaise qualité en espérant que les individus qui les
occupent puissent se former suffisamment pour les quitter ensuite semble ainsi illusoire. 4Ces constats invitent à penser la transformation des emplois eux-mêmes : à quelles conditions les métiers du nettoyage pourraient-ils offrir une qualité de l’emploi décente ou proche de celle des anciens métiers industriels en voie d’érosion ? Nous formons et testons ici deux
hypothèses :
que la structuration des professions (i.e la régulation de la relation d’emploi qui transite notamment par le statut de l’employeur) d’une part et les modalités d’organisation du travail (et notamment le degré de division du travail) d’autre part déterminent la qualité des emplois du nettoyage. Notre contribution consiste à étudier les modalités sous lesquelles des choix politiques et organisationnels différents peuvent accompagner le développement des métiers du nettoyage afin de
permettre la croissance d’emplois de meilleure qualité. 5Nous procèderons en trois temps. Le premier consiste à caractériser la position qu’occupent les salariés du nettoyage parmi l’ensemble des professions en termes de qualité de l’emploi. Nous faisons apparaître alors le caractère particulièrement dégradé de ce segment du marché du travail. Dans un second temps, nous formons puis
éprouvons des hypothèses sur deux facteurs qui, au sein de ce champ, joueraient un rôle positif sur la qualité de l’emploi : le statut du salarié (externalisé / internalisé) et/ou de l’employeur (public / privé) d’une part et la combinaison du nettoyage à d’autres activités davantage liées au soin, à l’éducation ou à la production d’autre part. Nous montrons que la situation la plus favorable pour les salariés du nettoyage est d’avoir une activité polyvalente et un emploi public ou a
minima internalisé. Sur cette base nous abordons, dans la troisième partie, les difficultés auxquelles pourraient se heurter des politiques publiques visant à soutenir des statuts plus protecteurs et des modèles organisationnels appuyés sur une moindre division du travail. Pour cette recherche, nous mobilisons l’enquête Conditions de travail-Risques
psycho-sociaux réalisée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) en 2016. Cette enquête s’inscrit dans le dispositif statistique d’observation des « conditions de travail » de la DARES, reconduit tous les sept ans depuis 1978 et tous les 3 ans depuis 2013. Les enquêtes sont représentatives de la population active occupée et âgée de 15 ans et plus et concerne toutes les personnes exerçant un emploi salarié ou indépendant. Pour
l’édition 2016, environ 26 000 individus ont été interrogés dont 2 195 relèvent des emplois du nettoyage. Pour simplifier la lecture par la suite, l’enquête sera nommée RPS 2016. Pour une présentation plus détaillée sur les objectifs des enquêtes CT-RPS, voir https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2017-082v3.pdf, encadré 1 page 7 en particulier. 6Les métiers liés au nettoyage se situent clairement dans le bas de l’échelle des
professions sur les quatre dimensions qui déterminent la qualité d’un emploi (Kalleberg, 2011 ; Munoz de Bastillo et al. 2009 ; Davoine et al., 2008) : les rémunérations sont basses (taux horaire et temps de travail), les conditions de travail pénibles et marquées par un cumul de contraintes à la fois physiques et psychologiques, la reconnaissance sociale limitée et les perspectives de mobilités faibles. 7Le segment du nettoyage est d’abord marqué par des rémunérations médiocres. Les salaires horaires sont très proches du salaire minimum. Ainsi pour l’année 2016, 50 % sont inférieurs à 1,1 SMIC (soit 8,2 € en taux horaire net) contre 26 % pour l’ensemble des salariés et 38 % des ouvriers et employés (tableau 1). Tableau 1
Faiblesse des rémunérations nettes des salariés du nettoyage en 2016Champ : salariés. 8La faiblesse relative des rémunérations apparaît plus nettement en termes de salaire mensuel. Le cumul de salaires horaires faibles et de temps de travail réduits explique ces revenus mensuels bas : la proportion de « bas salaire » (inférieur à 60 % du salaire médian) est de 48 % contre 20 % des employés et ouvriers et moins de 14 % de l’ensemble des salariés. En conséquence, les salariés du nettoyage qui représentent 8 % des salariés constituent un tiers du groupe des salariés à bas salaire [2]. 9Cette concentration de la pauvreté laborieuse est liée à l’organisation de l’activité qui génère un usage du temps partiel massif (plus de 58 % versus 19 % pour l’ensemble des salariés). Ce mode d’organisation du temps de travail est justifié par les employeurs, par les contraintes de l’activité elle-même et les attentes des clients ou usagers. Dans le champ du nettoyage à domicile, le temps partiel provient de l’éclatement des lieux d’intervention et de la demande de localisation des horaires sur les plages centrales de la journée, ce qui contribue à structurer la journée de travail comme une succession de périodes de travail de 2 à 3 heures et de temps de déplacement pour une durée totale généralement inférieure à six heures mais pour une emprise temporelle bien plus longue. Pour l’entretien des bâtiments publics ou commerciaux, c’est d’abord la difficulté à nettoyer en journée, c’est-à-dire en présence des usagers du site concerné, qui induit des horaires fractionnés et concentrés sur les périodes 6h-9h et 16h-19h (Grimshaw et al., 2014 ; Kirov et al., 2014). 10Ainsi, la faiblesse des horaires a fréquemment pour corollaire la spécificité de localisation du temps de travail. Ces salariés subissent des horaires de travail qui s’écartent des temps sociaux dominants. Certes, les horaires les plus atypiques demeurent relativement rares : 92 % des salariés du nettoyage ne travaillent jamais la nuit et 68 % jamais le dimanche contre respectivement 82 % et 71 % des autres employés et ouvriers. Mais l’analyse fine des emplois du temps montre que les salariés concernés sont fréquemment exposés à des contraintes moins visibles mais qui se répercutent néanmoins fortement sur les difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ainsi que sur le niveau de rémunération (Barrois et Devetter, 2017). C’est particulièrement le cas du « morcellement » des journées de travail : les journées de travail coupées en deux périodes séparées par trois heures ou plus touchent un emploi du nettoyage sur cinq contre 9 % des autres travailleurs employés ou ouvriers. Au-delà de la faiblesse des salaires, des conditions de travail qui cumulent contraintes physiques et psychologiques11Parallèlement, ces métiers génèrent de nombreuses contraintes. Prises séparément, chacune de ces contraintes n’est pas au niveau le plus intense. Mais, quand on les aborde de manière cumulative, on constate que ces métiers ont la particularité d’exposer les salariés à un niveau total de pénibilités supérieurs aux autres (Desjonquères, 2019). 12Ces professions comportent d’abord d’importantes pénibilités physiques sur trois dimensions : position debout prolongée, postures pénibles, port de charges lourdes. Pour les pénibilités liées à l’environnement de travail, elles relèvent de deux types d’exposition : les produits chimiques et les environnements sales et malsains (tableau 2). Tableau 2 Les contraintes physiques au travail
Les contraintes physiques au travailChamp : Salariés. 13Enfin une part importante des travailleurs du nettoyage est également surexposée à des difficultés d’ordre psychosocial (Coutrot et Mermilliod, 2010). C’est particulièrement le cas de deux axes repérés par le Collège d’experts sur le suivi statistique des RPS (2009). En effet, sur l’axe « rapports sociaux et relations au travail », les salariés du nettoyage apparaissent nettement défavorisés en raison d’un travail réalisé fréquemment de manière isolée (55 % travaillent toujours seuls contre 32 % des autres employés et ouvriers). Ils sont ainsi nombreux à ne pas bénéficier de l’aide des collègues (57 % déclarent cette aide possible contre 80 % des employés et ouvriers) ou de celle du supérieur hiérarchique (46 % versus 68 %). 14En outre, lorsqu’ils sont amenés à interagir avec d’autres, ils connaissent, plus que d’autres, des situations complexes avec les clients ou les supérieurs hiérarchiques, dont le sentiment d’être ignoré. Pour autant, leurs réponses sur ces variables sont très dispersées, bien plus que pour d’autres professions peu ou non qualifiées. Le second axe où les agents d’entretien sont particulièrement mal lotis est celui de l’autonomie et plus spécifiquement l’utilisation et l’accroissement des connaissances (voir infra). 15Ce cumul de désavantages les singularise au sein de l’ensemble des professions peu ou non qualifiées (Brolis et Devetter, 2019). Ces repérages quantitatifs sont cohérents avec les observations et enquêtes de terrains sociologiques (e.g. Benelli, 2012 ; Reyssat, 2012) ou en médecine : Zock (2005) ou Messing (2012), par exemple, documentent cette situation dégradée tout en soulignant que les salariés (et les évaluateurs externes) sous-estiment fréquemment ces pénibilités souvent considérées comme plus « banales » que celles identifiées dans certains secteurs industriels. C’est typiquement le cas pour l’exposition aux produits chimiques et ses conséquences en termes de maladies respiratoires (Medina-Ramon et al. 2005 ; Zock, 2005) mais aussi pour les efforts physiques exigés caractérisés par une répétition de gestes « modérément pénibles » (Messing et al., 1998 ; Kumar et Kumar, 2008). 16Ce cumul de pénibilités se répercute sur la santé des travailleurs. Les réponses aux variables de l’enquête relatives à la santé et aux arrêts pour maladie montrent que ces problèmes sont nettement plus fréquents que pour la plupart des autres métiers. Cela apparaît tant sur des dimensions mesurables (fréquence des arrêts maladie, reconnaissance de limitations fonctionnelles) que sur des questions plus subjectives (état de santé général par exemple). Le tableau 3 souligne ainsi l’état de santé médiocre des salariés du nettoyage. Rien ne permet ici d’étayer statistiquement une causalité entre ces conditions d’emploi et ces spécificités. En revanche, ce constat paraît robuste : les données issues de l’assurance maladie placent également les professions du nettoyage parmi les plus exposées aux maladies professionnelles et aux accidents du travail (juste derrière les ouvriers du bâtiment) ainsi que parmi les professions les plus concernées par des licenciements pour inaptitude physique (CNAMTS, 2016). Tableau 3 Indicateurs de santé perçue
Indicateurs de santé perçueChamp : Salariés. 17En outre, ces conditions de travail dégradées ne sont pas compensées par une meilleure sécurité de l’emploi. De fait, les salariés du nettoyage ont connu, plus fréquemment que les autres, des périodes de chômage ou encore la crainte de perdre leur emploi (bien que l’écart soit, pour cette dernière variable, assez faible). Au-delà, c’est l’ensemble de la trajectoire professionnelle qui semble stagnante. 18En effet, ces métiers sont marqués par un taux très faible de promotion possible tant au sein des secteurs auxquels ils appartiennent (l’échelle hiérarchique est très plate et le taux d’encadrement très bas [3]) qu’au sein d’autres secteurs d’activités (tableau 4). S’ils sont perçus souvent comme des emplois d’entrée sur le marché du travail, ils ne semblent pas pouvoir être qualifiés de « tremplins » mais semblent plutôt constituer des emplois « impasses », pour reprendre la terminologie de Booth (2002). Ces travailleurs s’y retrouvent à la suite d’une reconversion subie et d’une période de chômage, plus ou moins longue. Ainsi le taux de salariés ayant commencé leur vie professionnelle comme agent d’entretien qui ont atteint un emploi qualifié (cadre, profession intermédiaire) n’est que de 11,5 % alors qu’il est, par exemple, de 28 % pour les employés du commerce de détail (caissiers, employés de libre services et vendeurs non spécialisés, source RPS 2016). Tableau 4 Statuts d’emploi et trajectoires professionnelles
Statuts d’emploi et trajectoires professionnellesChamp : Salariés. 19Enfin, le défaut de reconnaissance sociale de la profession contribue à positionner ces emplois dans le bas de la hiérarchie sociale. Les travaux sur la reconnaissance sociale des professions placent ces emplois dans les toutes dernières positions de ce classement tant en France (Chambaz et al., 1998) qu’au niveau international (Nakao et Treas, 1994 ; Mackinnon et Langford, 1994). Ce déficit tient en partie au fait que les tâches réalisées sont considérées comme ne demandant que très peu de qualifications et, à ce titre, seraient peu valorisantes (Bakhshi et al. 2017) mais également aux stigmates sociaux qui demeurent attachés aux métiers liés au « sale » (Rabelo et Mahalingham, 2019). En outre, ces emplois relèvent de relations sociales de services particulièrement inégalitaires au sens où leur création repose sur l’existence d’un différentiel de revenu élevé, tout particulièrement dans le cas des services à domicile. Cette inégalité de position sociale est potentiellement porteuse d’un déficit de reconnaissance (Devetter, 2016). 20Ces dimensions ne sont pas aisées à cerner à travers des enquêtes statistiques. Pour autant, l’enquête CT-RPS 2016 comporte des questions qui permettent d’aborder le ressenti des salariés sur leur travail sous plusieurs angles comme l’intérêt du travail qui peut être saisi à partir de sa monotonie et de l’opportunité que l’emploi offre d’apprendre de nouvelles choses ou encore par la fierté du travail accompli et le sentiment d’être utile aux autres. L’enquête comporte également des questions plus générales sur la satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelle ou personnelle. Enfin une question porte sur le souhait des travailleurs de voir leur enfant occuper le même emploi. Ces variables comportent une dimension subjective prononcée et les analyses en termes de satisfaction ont largement souligné la possibilité de réponses assez paradoxales, notamment de la part des travailleurs du nettoyage (Léné, 2019) : des stratégies de rationalisation des situations tout comme le poids des trajectoires passées peuvent expliquer un décalage entre situation réelle et satisfaction déclarée (Bourdieu, 1984 ; Ashforth et al., 1999). En revanche, la question relative aux enfants nous semble de nature à induire une mise à distance, au moins partielle, et oblige les travailleurs à « trancher » entre un avis global positif ou négatif. 21Le tableau 5 permet de comparer les réponses données par les salariés du nettoyage avec celles données par les autres salariés pour évaluer la manière dont eux-mêmes situent leur emploi sur ces dimensions de reconnaissance sociale et de satisfaction. Tableau 5 Reconnaissance et appréciation globale du vécu au travail
Reconnaissance et appréciation globale du vécu au travailChamp : salariés. 22Les moyennes de scores de satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelle sont significativement différentes entre les nettoyeurs et l’ensemble des salariés mais de manière plus discutable vis-à-vis des seuls employés et ouvriers [4]. À l’inverse, les différences de moyennes de scores de satisfaction vis-à-vis de la vie personnelle sont significatives entre les nettoyeurs et les autres employés et ouvriers. Ainsi, alors que la frontière en termes de satisfaction relative à la vie professionnelle se situe essentiellement entre salariés qualifiés (cadres et professions intermédiaires) et salariés non qualifiés (employés et ouvriers), celle qui concerne la satisfaction relative à la vie personnelle isole les travailleurs du nettoyage du reste des salariés. 23Cette première étape fait apparaître à quel point les emplois du nettoyage constituent un segment dégradé du marché du travail. Si chaque pénibilité n’est pas totalement spécifique à ces emplois, le cumul de désavantages est de fait quasiment unique. Or cette situation est socialement problématique au regard de la croissance quantitative de ces métiers et de la place qu’ils occupent dans l’emploi féminin. 24Plus encore, les caractéristiques de ces emplois semblent fortement liées aux politiques publiques : choix ou non d’externaliser l’entretien des bâtiments publics, mode de financement et d’organisation des emplois peu qualifiés à l’hôpital, dans le système scolaire ou dans l’aide à domicile. 2 – Identification des facteurs susceptibles d’améliorer la qualité des emplois du nettoyage25Pourtant au sein de ce segment mal positionné, certains emplois sont susceptibles d’apparaître comme de moins mauvaise qualité. Il s’agit maintenant d’analyser les facteurs qui pourraient expliquer cette meilleure position. Nous présentons deux hypothèses avant de les tester à l’aide de plusieurs modèles économétriques. 2.1 – Hypothèses26Deux hypothèses a priori sont envisageables. La première repose sur le fait que certains salariés bénéficient d’un statut plus protecteur en raison de relations professionnelles ou d’un rapport salarial plus intégrés ou de l’existence de cadres juridiquement plus avantageux pour les salariés. La seconde hypothèse s’appuie de manière plus directe sur les formes d’organisation du travail et les modalités de division des tâches. Ainsi certaines formes d’organisation du travail permettraient de réduire la division du travail et, du fait d’une moindre spécialisation, entraîneraient en retour une meilleure valorisation financière et subjective des emplois du nettoyage. 27La première hypothèse relève de la théorie de la segmentation. Les emplois du nettoyage ont comme particularité de regrouper des tâches similaires dans des contextes organisationnels très différents. En effet pour remplir les mêmes fonctions, les salariés du nettoyage peuvent dépendre d’employeurs publics, d’entreprises privées, d’associations à but non lucratif ou même, pour certains segments, être directement employés par des particuliers. Ils peuvent également appartenir aux organisations qu’ils nettoient ou au contraire être salariés d’employeurs spécifiques (preneurs d’ordres) qui les confient à d’autres entreprises. Nous sommes ainsi dans une situation emblématique où à une même activité productive correspondent plusieurs types de rapport salarial. 28L’hypothèse que nous formulons est que chaque type de rapport salarial induit des conditions d’emplois spécifiques (salaire horaire, durée et décompte du temps de travail, avantages liés à l’ancienneté, accès à la formation…), certains étant plus à l’avantage des salariés que d’autres. Concrètement nous pouvons distinguer deux oppositions majeures : le statut public ou privé de l’employeur d’une part et le caractère interne ou externalisé de la relation d’emploi d’autre part. 29Comme l’ont montré plusieurs recherches internationales (Dube et Kaplan, 2010 ; Goldschmit et al., 2017), le processus d’externalisation tend à réduire le niveau de salaire des nettoyeurs : l’intrusion d’un tiers (l’entreprise preneuse d’ordres) affecte la répartition de la valeur ajoutée et réduit la « rente » dont peuvent bénéficier, dans des contextes plus protecteurs, les salariés nettoyant en interne. L’existence ou non d’une communauté de travail (plus large que celle incluant les seuls nettoyeurs) lorsque l’emploi demeure en interne est attendue alors comme bénéfique pour les salariés. Elle leur permet de bénéficier du pouvoir de négociation des autres salariés (plus qualifiés ou plus spécifiques à l’entreprise) pour l’obtention au moins partielle de la « rente » que peuvent exiger les autres salariés. Un effet plus sociologique ou psychologique peut venir compléter le précédent : l’appartenance à un collectif plus divers (voire à un collectif tout court) est source – en soi – de satisfaction pour les salariés (Marc et al., 2011 ; Deriot, 2010). 30Ces arguments s’appliquent à la fois au fait d’être internalisé et au statut public. Cette dernière situation peut cependant renforcer ces effets. Non seulement les mêmes arguments se retrouvent avec une plus grande intensité (le pouvoir de négociation est plus fort car le personnel est plus syndiqué ou moins exposé au licenciement par exemple) mais une spécificité propre au « service public » pourrait apparaître : le nettoyage étant une activité de soutien à l’activité principale de l’organisation, la participation à une mission de service de public (santé, éducation notamment) pourrait se répercuter positivement sur le ressenti des nettoyeurs (plus grand sentiment d’utilité par exemple, Baudelot et al., 2014). En d’autres termes l’effet « public » peut apparaître comme un effet « interne » renforcé. Parallèlement, ces impacts positifs pour les salariés du statut interne et/ou public peuvent transiter par les possibilités qu’ils offrent de travailler dans des contextes moins spécialisés. 31Ce rôle positif de la moindre spécialisation des tâches est au cœur de la seconde hypothèse que nous formulons. En effet, tout comme il peut être effectué sous des modalités statutaires différentes, le nettoyage peut également être organisé ou réparti de manière diverse : il peut ainsi être attribué à des salariés très spécialisés dont la fonction principale, voire unique, est de nettoyer ou au contraire être confié parmi d’autres tâches à des salariés davantage polyvalents (Méhaut et al., 2010 ; Agular, 2001). Le choix d’une plus grande polyvalence est ici attendu comme ayant un effet positif sur la qualité des emplois. Cet effet transite par deux canaux. D’une part, le nettoyage étant considéré comme un élément directement lié au « dirty work » (L’huillier, 2005 ; Rabelo et Mahalingham, 2019) et portant en lui-même un effet symboliquement dévalorisant (cf. le classement des professions selon leur prestige social), un rattachement à d’autres fonctions peut offrir une opportunité de réduire ou contourner les stigmates associés au fait de s’occuper du sale. D’autre part, une moindre spécialisation apporte des opportunités de diversification des tâches (moindre monotonie) et d’apprentissage qui, toutes deux, constituent des éléments positifs – en soi – et en termes de perspectives de promotions futures. Autrement dit, le fait d’être en charge de tâches de nettoyage au sein d’autres activités connexes permettrait de sortir en partie certains emplois de la « trappe » dans laquelle ils demeurent sinon bloqués. 2.2 – Résultats32Pour tester ces deux hypothèses, les analyses économétriques que nous présentons visent à étayer le lien statistique, « toutes choses égales par ailleurs » entre statut de l’employeur et de la fonction principale déclarée d’une part et plusieurs variables qui caractérisent la situation professionnelle de ces salariés d’autre part. 33L’enquête permet de repérer quatre statuts fréquents dans les emplois du nettoyage : les organismes publics, les entreprises ou associations privées en dehors du secteur de la propreté, les entreprises du secteur de la propreté (correspondant ainsi aux emplois externalisés) et enfin les particuliers employeurs. Elle permet parallèlement de distinguer les salariés déclarant la fonction principale « nettoyage, gardiennage, entretien ménager » de ceux déclarant d’autres types de fonctions principales (essentiellement soin aux personnes, éducation et « autre »). C’est cette variable que nous mobilisons comme indicatrice d’une moindre spécialisation réelle ou perçue. 34Ces analyses sont réalisées sur quatre variables représentatives du positionnement et de la désirabilité des emplois : le revenu mensuel salarial, le score de satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelle, le score de satisfaction vis-à-vis de la vie personnelle et enfin le fait de répondre positivement à la question « Seriez-vous ou auriez-vous été heureux que l’un de vos enfants s’engage dans la même activité professionnelle que vous ? ». 35Pour chacune de ces variables, nous estimons plusieurs modèles successivement. Le premier (M1) intègre les seules variables sociodémographiques (le sexe, le fait d’être immigré, l’âge), le niveau de diplôme et l’ancienneté dans la profession. Le second (M2) y ajoute le statut de l’employeur. Le troisième (M3) intègre la fonction principale déclarée (en deux modalités : nettoyage ou autre). Pour l’étude du salaire, un quatrième modèle (M4) intègre la durée hebdomadaire du travail tandis que pour l’étude des scores de satisfaction professionnelle et personnelle, le modèle M4 intègre le niveau de salaire et le cinquième modèle ajoute cette fois le score associé à l’autre type de satisfaction. 36L’analyse des variables corrélées à un meilleur revenu mensuel (tableau 6) confirme, comme attendu, la dimension désavantageuse d’être une femme ou un immigré. Ces deux catégories disposent d’un revenu mensuel plus faible, essentiellement en raison d’un temps de travail plus réduit. Elles sont en effet sensiblement plus exposées au temps partiel soit en raison de contraintes limitant leur temps de travail soit du fait de modalités de décomptes des temps travaillés particulièrement restrictifs (voir supra). Dans le cas des femmes, le modèle M4 montre néanmoins qu’à temps de travail donné, les femmes connaissent un salaire mensuel plus faible. On retrouve également l’effet habituel positif de l’âge et plus encore de l’ancienneté. De même le niveau de diplôme apparaît comme un facteur significatif pour obtenir un salaire mensuel plus élevé. Ces résultats sont qualitativement inchangés lors de l’ajout des autres variables explicatives mais les primes ou décotes associées sont de moindre ampleur. Cela tend à montrer que les populations de différents types d’employeurs ne sont pas strictement homogènes (voir infra).
Tableau 6 Estimations des effets sur le revenu mensuel
Estimations des effets sur le revenu mensuelChamp : salariés du nettoyage. 37L’appartenance au secteur public est, quant à lui, associé à des niveaux de salaires nettement plus élevés tandis que le fait de travailler de manière externalisée ou pour un particulier employeur est défavorable. Ces résultats confortent l’hypothèse d’une dimension protectrice de certains statuts (H1). Le rôle du statut passe par trois effets complémentaires : il est associé à un temps de travail sensiblement plus long, il repose sur une relation d’emploi durable que révèle l’influence de l’ancienneté, il demeure enfin corrélé à une rémunération plus élevée à ancienneté et temps de travail donnés (M4). Enfin, l’introduction de la variable relative à la fonction déclarée fait apparaître toutes choses égales par ailleurs (y compris à niveau de diplôme donné) qu’une moindre spécialisation est associée à de meilleures rémunérations et semble corroborer l’hypothèse H2. Cet effet transite essentiellement par la hausse du temps de travail rémunéré (cf. M4). 38L’analyse des modèles relatifs à la réponse donnée quant au souhait de voir l’un de ses enfants exercer la même profession apporte des éléments sensiblement différents de ceux obtenus pour le niveau de salaire (tableau 7). Tout d’abord il apparaît que les variables sociodémographiques ne jouent qu’un rôle marginal : les hommes et les immigrés sembleraient initialement mieux évaluer leur profession mais cet effet perd sa significativité dès lors que le statut et la fonction principale sont intégrés. À l’inverse, la détention d’un diplôme supérieur au bac devient pénalisant dans les modèles complets soulignant ainsi le sentiment de déclassement susceptible d’être ressenti de manière d’autant plus forte que le rôle joué par la fonction principale assurée dans le poste est neutralisé. Tableau 7 Estimations des effets sur la perception de l’emploi
Estimations des effets sur la perception de l’emploiChamp : salariés du nettoyage. 39Le rôle du statut de l’employeur est à nouveau nettement souligné : plus qu’un effet positif de l’emploi public (comme pour les rémunérations), c’est plutôt un effet négatif des employeurs ‘spécialisés’ (emploi externalisé et particulier employeur) qui est ici mis en évidence par rapport aux employeurs conservant en interne les nettoyeurs. L’enseignement le plus notable se situe au niveau du rôle majeur joué par la fonction principale déclarée : une moindre spécialisation est associée à une perception bien meilleure de son emploi (H2). 40Quant à l’analyse du score de satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelle et personnelle, elle paraît confirmer et compléter les résultats précédents (tableau 8 et 9). D’une part, un statut protecteur améliore les dimensions matérielles de l’emploi (rémunération notamment) et favorise une plus grande satisfaction professionnelle tandis que l’externalisation joue dans le sens opposé. D’autre part, la moindre spécialisation est au contraire associée à une meilleure satisfaction personnelle alors même que son impact sur la satisfaction professionnelle n’apparaît pas directement. D’autres analyses montrent cependant que cette déspécialisation est également associée à une transformation des conditions matérielles et psychologiques de travail (plus de tensions avec les collègues et les usagers ou clients, plus grande intensité du travail notamment) qui explique son effet ambigu sur la satisfaction professionnelle (Léné, 2019 ; Devetter et al., 2013). Ces éléments dessinent ainsi, pour les salariés, lorsqu’ils peuvent l’exercer, une forme d’arbitrage entre emplois peu valorisants et moins pénibles d’une part et emplois apportant une meilleure reconnaissance sociale mais soumis à des pénibilités physiques et psychologiques plus fortes de l’autre. Tableau 8 Estimation des effets sur la satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelle
Estimation des effets sur la satisfaction vis-à-vis de la vie professionnelleChamp : salariés du nettoyage. Tableau 9 Estimation des effets sur la satisfaction vis-à-vis de la vie personnelle
Estimation des effets sur la satisfaction vis-à-vis de la vie personnelleChamp : salariés du nettoyage. 41Ainsi au total, ces éléments corroborent les deux hypothèses formulées : tant le statut public et/ou interne par rapport à l’emploi externalisé que la moindre spécialisation dans la seule activité du nettoyage jouent un rôle nettement positif sur les conditions matérielles et sur la perception subjective de l’emploi. Dès lors, les politiques publiques concourant à l’externalisation de la fonction entretien semblent nettement négatives sur le plan de la qualité des emplois. Le maintien de ces salariés en interne, y compris au sein de la fonction publique, et l’encouragement à une plus grande diversification des tâches apparaissent souhaitables pour ce segment de main-d’œuvre. L’emploi public, comme les emplois moins spécialisés facilitent en effet des temps de travail plus longs, des rémunérations horaires plus élevées par une meilleure prise en compte de l’ancienneté, l’intégration dans le temps de travail rémunéré des temps de préparation, de récupération, de concertation et un meilleur accès à la formation. 3 – Discussion : actions et arbitrages possibles pour le régulateur public42Les constats de la section précédente ont mis en évidence deux types de levier permettant de dessiner des modes d’organisation des emplois du nettoyage socialement meilleurs (dans l’esprit de ce qu’Osterman (2018) nomme des « high roads »). Le premier repose sur la définition d’un statut plus protecteur assurant l’intégration des agents d’entretien dans un collectif de travail plus large et facilitant la construction d’une réelle ancienneté professionnelle. Il s’agit typiquement de l’emploi des agents d’entretien en interne, y compris dans la fonction publique dans le cadre des bâtiments publics. Le second levier s’appuie sur une montée en qualification permise par l’enrichissement des activités et la sortie d’une spécialisation trop restrictive sur les seules tâches d’entretien (en les incluant par exemple dans des fonctions de soin ou d’éducation). L’encadré 2 présente, à partir de l’étude d’une politique d’externalisation de l’entretien des établissements scolaires menée dans le département du Nord, les effets que peuvent avoir les politiques publiques lorsque ces deux leviers sont abandonnés. Mais l’usage de ces leviers peut également présenter des inconvénients. Nous discutons successivement deux difficultés potentielles : l’éviction des salariés les moins qualifiés d’une part (section 3.1), la soutenabilité économique de ces propositions d’autre part (section 3.2). Encadré 2. L’externalisation de l’entretien des collèges : bilan d’une expérimentation dans le département du NordÀ partir de septembre 2016, le département du Nord a expérimenté le remplacement progressif des contractuels en fin de contrats et des départs en retraite
des agents titulaires par des prestations fournies par une entreprise de propreté pour le nettoyage dans 19 collèges. Cette expérimentation de l’externalisation du nettoyage a fait l’objet d’une évaluation commanditée par le département (Abasabanye et al., 2017). Les 19 établissements concernés ont été étudiés : plus de 60 entretiens ont été effectués auprès des agents d’entretien (titulaires, contractuels et externes), des équipes de direction des collèges, des services
supports du département et de l’entreprise prestataire. Ces entretiens ont permis de mettre en avant trois types de transformations majeures : la moindre qualité de l’emploi des salariés externalisés, la redéfinition de leur activité (et notamment une spécialisation conduisant à de moins bonnes qualités du service et de l’emploi) et enfin une hausse des coûts directs (coûts de transaction et d’intermédiation). 3.1 – Une possible éviction des salariés les moins qualifiés43Le premier risque identifiable d’une politique de montée en qualification serait de conduire à une éviction de certains salariés. La « déspécialisation » du travail de nettoyage et son adossement à des fonctions plus larges (le plus souvent de soin ou d’éducation mais aussi de production) pourraient avoir pour corollaire une montée en compétence dont il n’est pas acquis qu’elle soit accessible aux salariés qui exercent ces fonctions. Dès lors, le rôle de « porte d’entrée » sur le marché du travail que les emplois du nettoyage sont susceptibles de jouer serait remis en cause. 44De fait les salariés qui bénéficient d’un statut plus protecteur (secteur public / internes) ou ceux qui déclarent une fonction principale moins liée au nettoyage sont en moyenne légèrement plus qualifiés (du moins tel qu’on peut le percevoir à partir du niveau de formation initiale) par rapport à ceux qui sont engagés dans des emplois externalisés ou plus spécialisés. Les salariés bénéficiant d’un statut plus protecteur disposent plus souvent d’un diplôme de niveau BEP ou supérieur et la différence en termes d’âge de fin d’étude est d’un peu moins d’un an. L’effet est renforcé en ce qui concerne la moindre spécialisation des tâches (tableau 10). Tableau 10 Niveau de diplôme par statut et fonction (en %)
Niveau de diplôme par statut et fonction (en %)Champ : salariés du nettoyage. 45Pour autant la présence d’un nombre important de salariés sans formation initiale dans les métiers moins centrés sur le nettoyage (plus du tiers des non diplômés ou titulaires du Brevet des collèges sont dans ce cas) souligne à l’inverse la possibilité d’occuper ces emplois y compris en l’absence de formation initiale. Il est néanmoins possible que les caractéristiques au cœur d’un possible effet d’éviction ne soient pas observables. Ainsi, si certains éléments bloquants sont liés aux individus et non aux postes, comme l’hypothèse en est souvent faite dans la littérature sur la polarisation, alors une politique de formation doit être envisagée. Les travaux de Marie-Hélène Chinours-Lachaud (2011) ont montré que des formations adaptées aux publics les moins qualifiés sont possibles et efficaces. Comme les employeurs internes et plus encore publics sont ceux qui offrent le plus d’opportunité de formation formelle [5] et au cours même de l’activité de travail [6], cela renforce le constat d’une complémentarité entre statut protecteur et déspécialisation. En ce sens la déspécialisation est en soi formatrice et tend à réduire l’enfermement dans lequel peuvent rester les salariés affectés à des tâches plus monotones [7]. 46Par ailleurs, certains exemples font apparaître que, lorsque la déspécialisation est expérimentée ou mise en œuvre, elle ne s’accompagne pas d’une mise à l’écart d’une partie des salariés. Ainsi dans la composante « domicile » des emplois du nettoyage, on constate que les employés de maison (dont l’activité est limitée à l’entretien ménager) accèdent à des postes d’aide à domicile (dont la dimension relationnelle est plus forte) et s’y maintiennent durablement, notamment lorsque des politiques de formation sont mises en place. Mais il apparaît que celles-ci ne sont proposées que lorsqu’un niveau minimal de qualité de l’emploi (en lien avec l’existence d’employeurs associatifs ou publics) est observé (Mansuy et Marquier, 2013). 47Mais c’est surtout ici dans les emplois hors du domicile que des illustrations peuvent être trouvées : tant des trajectoires de déspécialisation que de spécialisation avec maintien du même personnel peuvent être observées. La politique de la Mairie de Paris lors de la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires illustre le cas « ascendant » (cf Inspection Générale de la Mairie de Paris, 2014). Le personnel municipal ATSEM a connu un basculement de sa fonction principale de l’entretien à l’éducation. À l’inverse, les politiques d’externalisation de la fonction nettoyage entraînent un transfert du personnel de l’administration ou de l’entreprise initiale vers un prestataire spécialisé. Dans les deux cas, ces transformations de poste se font sans qu’il y ait changement du personnel en question, ce qui laisse penser qu’un risque d’effet de sélection écartant certains profils de travailleurs est faible et/ou pourrait être surmonté. 3.2 – La soutenabilité économique de ces recommandations : productivité et coût48Les éléments liés à un statut plus protecteur auquel pourraient s’ajouter d’éventuels coûts de formation pose la question des implications, aussi bien pour les employeurs que pour les bénéficiaires finaux et les pouvoir publics, de telles dispositions. La hausse des coûts liés à une amélioration des conditions salariales apparaît ici assez directe pour des services où la masse salariale constitue l’essentiel du coût de production (aux alentours de 75 % à 80 % du chiffre d’affaire pour la branche de la propreté ou celle de l’aide à domicile, Souquet et Geay, 2018). 49Pour aborder cette question, il peut être utile à nouveau de distinguer deux cas : celui du nettoyage des établissements publics ou des bureaux d’une part et celui des interventions à domicile d’autre part. 50Dans le premier, il est important de rappeler que la spécialisation s’opère en confiant le service à un prestataire externe. À productivité ou volume horaire commandé identique, le bilan sur les coûts est plutôt en faveur de l’internalisation : des cotisations employeurs et des primes plus élevées sont compensées par l’évitement de coûts d’intermédiation (TVA et marges des prestataires). Reste la question des coûts de gestion/transaction pour lesquels la supériorité de l’une des formes organisationnelles sur l’autre ne peut être établie simplement (Devetter et Valentin, 2019). Le bilan en termes de coût repose alors sur le différentiel de productivité entre les deux formes d’organisation. Si on s’appuie sur la monographie décrite dans l’encadré 2, on constate d’abord que les surfaces nettoyées par heure et par agent établies par le cahier des charges sont inférieures à celles prises en charge par les agents d’entretien polyvalents. Comme le volume horaire total confié aux prestataires est moindre que celui précédemment réalisé par les agents d’entretien de la fonction publique, il y a ici une source potentielle d’économie via la baisse des heures prestées [8], mais cette baisse du volume horaire a pour contrepartie une potentielle dégradation de la qualité du service. En ce sens l’écart de productivité et de coût entre les deux formes de production pourrait, au moins dans certaines configurations, être à l’avantage de l’emploi public ou internalisé. 51Le bilan en termes de coût est plus complexe dans le cas des « services à la personne » ou de l’aide à domicile. En effet la mise en œuvre ou la diffusion d’un modèle d’emploi collectif et éventuellement public implique au contraire l’apparition d’un intermédiaire par rapport au système, le moins protecteur, du particulier employeur (Puissant, 2011). Les comparaisons de coûts pour l’utilisateur final entre le modèle collectif et l’emploi direct tendent ainsi à établir un sur-coût d’environ 5 € : selon Benoteau et Gouin (2015) le coût horaire d’une heure de service à personne atteint 17 € dans le cadre d’emploi direct contre 22 € lorsque l’emploi est intégré dans un organisme à but non lucratif [9]. Les départements qui se sont engagés dans cette voie ont assumé ce surcoût brut à partir de deux arguments complémentaires qui peuvent permettre de mieux décrire leurs enjeux sociaux et politiques. Tout d’abord, le choix d’un service plus structuré induit une amélioration de la qualité du service proposé et donc du consentement à payer de la collectivité. Ensuite il était espéré que cette hausse de coût immédiate soit compensée par des économies indirectes. D’une part, le meilleur suivi de certains publics les amènent à moins solliciter d’autres services sociaux (Ehpad) ou médicaux (en particulier les urgences ; Belorgey, 2011). D’autre part les besoins en revenu de remplacement (Allocation de Retour à l’emploi) ou de complément (Prime d’activité, allocations logements) des salariés concernés sont réduits par l’augmentation des revenus mensuels. 4 – Conclusion52Cet article a pour ambition d’étayer empiriquement la nécessité de réfléchir à l’amélioration de la qualité de l’emploi d’un des segments dégradés du marché du travail d’une part et de montrer l’existence de leviers pour y parvenir d’autre part. Les analyses économétriques ont souligné le rôle positif, en matière de qualité de l’emploi, de modalités d’organisation du travail moins spécialisées et plus intégrantes. 53La faisabilité de ces voies d’amélioration reste en débat mais plusieurs arguments et illustrations ont été présentés en ce sens. Des transformations semblent ainsi envisageables pour permettre la (re)création d’emplois de complexité « moyenne » en enrichissant les emplois (dé)qualifiés. Cette stratégie n’est d’ailleurs pas sans lien avec celle observée au cours du 20e siècle dans le secteur industriel : après une phase de prolétarisation des ouvriers de métiers et la forte contraction des paysans et artisans indépendants, la (re)création d’une classe moyenne s’est fondée sur la promotion des droits ouvriers et la revalorisation (au moins économique) des emplois industriels et administratifs. Ce sont ces emplois qui sont aujourd’hui, et depuis 30 ans supprimés en grand nombre. La main-d’œuvre libérée est en revanche mobilisée massivement pour répondre aux besoins du clean (et du care) que la robotisation ne remplace que très difficilement. La reconnaissance des métiers qui répondent à ces demandes ne peut cependant émerger sans politiques publiques et/ou managériales adaptées : l’amélioration de la position sociale et économique de ceux, et majoritairement de celles, qui les exercent présuppose non seulement la mise en place de statuts plus protecteurs mais aussi, et plus encore, une moindre spécialisation des tâches. Ces deux éléments apparaissent notamment comme des préalables à la réduction de la part du temps partiel subi. 54Pour autant, l’évaluation d’une diffusion de ces pratiques requiert de plus amples investigations à la fois pour mesurer le coût pour les finances publiques et les utilisateurs finaux et pour apprécier les efforts de formation qui doivent être consentis. Les écarts très importants relatifs à la part des emplois du nettoyage dans les pays européens (e. g. 6,4 % de l’emploi total en France versus moins de 3 % en Allemagne et moins de 2 % en Suède ou au Royaume-Uni ; Eurostat, 2017) invitent enfin à mener des analyses de comparaison internationales. Annexe 1 Le champ des salariés du nettoyage55Le tableau 1 indique pour chaque PCS, son intitulé, son descriptif, sa correspondance avec la nomenclature internationale et la part des salariés qui, au sein de la catégorie, déclarent le nettoyage comme fonction principale. Tableau A1 Les PCS du nettoyageLes PCS du nettoyageChamp : salariés. Annexe 2 Tableau A2 Présentation de la base de données
Présentation de la base de donnéesChamp : Salariés du nettoyage. Notes
Références
Quels sont les facteurs de la polarisation des emplois ?Plusieurs facteurs explicatifs rendent compte de ce phénomène et des différences d'évolution de part et d'autre de l'Atlantique : changement technologique favorable aux tâches cognitives et non routinières, concurrence internationale pesant sur l'emploi industriel, régulation du marché du travail encourageant le ...
C'est quoi le phénomène de polarisation ?Phénomène par lequel une force opposée diminue le courant circulant à l'intérieur d'une pile. Action de se polariser, traduit une concentration sur un même sujet. Exemple : La polarisation d'un événement politique.
Comment le numérique accroît les risques de polarisation des emplois ?En effet, le développement des plateformes numériques qui mettent en relation directe des travailleurs et leurs clients, telles qu'Uber, modifie les relations d'emploi. Ce phénomène d'ubérisation, permis par le numérique, renforce le phénomène de polarisation des emplois.
Quelles sont les mutations du travail et de l'emploi ?La forme et la nature des emplois ont connu des modifications structurelles importantes. Elles résultent des transformations économiques et sociales contemporaines : tertiarisation, féminisation, droit du travail, emploi salarié et non salarié. La tertiarisation de la société a modifié la structure de l'emploi.
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