Solution pour developper lafrique

1Les résultats des programmes de développement économique et social entrepris en Afrique depuis l’indépendance sont, nous l’avons vu, loin de refléter les espoirs suscités.

2L’activité économique : dominée par le secteur agricole et minier demeure toujours extravertie et orientée davantage vers les intérêts du marché international que vers les besoins des populations locales. Le capital, la technologie et l’équipement des nouveaux Etats sont entièrement d’origine étrangère.

3L’impact de la colonisation y est encore très vivace : il domine toujours les structures économiques, sociales, politiques et culturelles de la région ; et les politiques de développement industriel, calquées sur le modèle occidental, se heurtent à l’extrême fragmentation politique, géographique et ethnique du continent. L’Afrique et l’Asie du Sud-Est sont aujourd’hui les deux régions du monde les plus menacées par la pauvreté dans les prochaines décennies.

4Dans le domaine de l’industrialisation, l’Afrique n’a pas beaucoup évolué depuis l’indépendance. Les activités ici restent encore limitées à l’extraction des matières premières minérales accompagnée parfois d’une production semi-manufacturière de substitution aux importations. L’ensemble des activités industrielles en Afrique est dominé par les experts et les capitaux étrangers. L’Afrique se contente encore de fournir une main-d’œuvre généralement peu efficace parce que sans qualification et mal rémunérée.

5En raison de l’extrême balkanisation politique du continent, du faible revenu des populations et du coût élevé des transports, le développement du marché intérieur est encore très limité. De ce fait, l’initiative étrangère dans l’exportation des produits africains restera prépondérante jusqu’à ce que des changements structurels profonds interviennent dans la politique économique actuelle des Etats africains.

6Dans les deux prochaines décennies, on ne s’attend pas à un changement notoire dans la structure actuelle de l’industrialisation en Afrique : celle-ci continuera à être dominée par le capital et les experts étrangers ; et les activités continueront à être concentrées dans quelques Etats privilégiés de la région, en particulier ceux où abondent les ressources naturelles minérales, énergétiques ou agricoles, et dont les gouvernements sont susceptibles d’offrir un climat jugé propice par les investisseurs étrangers.

7Dans le futur immédiat, on peut envisager trois types d’évolution possibles pour le développement économique de l’Afrique. Primo, la situation économique actuelle peut fort bien se maintenir ; ce qui, sans nul doute signifie la stagnation, la famine et, à terme, les conflits sociaux et politiques qui ne manqueront pas de susciter des interventions étrangères dans les affaires africaines.

8Secundo, les gouvernements africains peuvent encore chercher à accroître davantage l’impact de l’étranger sur leur développement. C’est là une politique qui pourrait peut-être dans certains cas — déjà observés en Côte-d’Ivoire, au Kenya, au Gabon et ailleurs — favoriser à la fois une certaine croissance, une certaine industrie d’exportation et l’aide au développement. Cette politique signifie encore que, naturellement, les ressources africaines seront plus intensément exploitées dans le cadre de l’économie mondiale, à laquelle elles seront entièrement intégrées. Par ailleurs, la croissance obtenue ici peut fort bien ne profiter, en définitive, qu’à une minorité d’individus dans les sociétés africaines.

9Tertio, ces gouvernements peuvent encore opter pour une politique économique autocentrée, moins dépendante et qui accorde la priorité aux besoins internes sur la demande du marché mondial. C’est sans doute la solution qui répond le mieux aux intérêts de l’Afrique ; c’est aussi la plus exigeante dans sa mise en application pratique. Elle requiert des réformes profondes dans les structures socio-économiques et politiques actuelles de l’Afrique. Elle exige une redéfinition des priorités, la mobilisation des ressources, l’organisation du commerce et un effort de décentralisation. Par-dessus toute autre considération, cette politique requiert une volonté politique de l’Afrique, exercée en faveur du développement régional, car la région, avec ses potentialités et son marché, reste la seule chance d’un développement réel pour la majorité des Etats africains. En tournant le dos à cette perspective, beaucoup d’Etats africains, actuellement « en voie de développement », passeront rapidement à la situation d’Etats « en voie de disparition ». Cette volonté politique doit, enfin, s’exprimer à travers des institutions démocratiques, forgées avec la participation active des populations considérées comme sujets et non comme objets du projet commun de société africaine.

10Le développement africain doit être réexaminé sur les plans théorique et pratique. Avant de brosser les grandes lignes de ce que pourrait être une politique africaine de développement régional intégré, nous nous permettrons d’abord de résumer quelques leçons tirées de vingt années de planification du développement.

1. Une nécessité : la réorientation des objectifs du développement africain

11Les premières années de planification n’auront pas été entièrement négatives ; elles auront enseigné aux dirigeants africains des leçons enrichissantes permettant de mieux comprendre la complexité de la nature des instruments du développement socio-économique et de mieux les maîtriser. C’est ainsi que depuis le début des années 1970, de nouvelles tendances et approches ont vu le jour en matière de planification du développement. Parmi celles-ci, on peut retenir :

  1. Le besoin d’élargir la notion de développement à des objectifs autres que la simple croissance économique, des objectifs tendant, par exemple, à la transformation fondamentale des structures socio-économiques et politiques, et visant à associer la croissance à une politique d’équité sociale.

  2. La nécessité d’abandonner la stratégie tendant à favoriser les investissements dans les industries d’exportation et les importations de substitution ; et l’adoption d’une politique privilégiant les investissements dans le secteur agricole, l’éducation, la population, la santé, le développement de la main-d’œuvre, la nutrition, les services sociaux, etc. ; en d’autres termes, de réduire le rôle du capital et celui des projets de haute technique, en faveur de la création d’emplois et d’une technique appropriée aux besoins locaux.

  3. La nécessité d’une plus grande décentralisation dans la politique des investissements permettant la participation d’une plus large partie de la population au processus de la planification et privilégiant les besoins spécifiques des secteurs et des régions.

  4. L’abandon du processus d’une planification des investissements projet par projet, en faveur d’une planification plus fonctionnelle, avec des programmes susceptibles d’influer davantage sur la condition des groupes et des régions les plus pauvres du pays.

12En effet, depuis l’indépendance, l’expérience nous enseigne que la croissance maximum du produit national brut ne peut plus être considérée comme l’objectif essentiel de la stratégie du développement. Aujourd’hui, même les plus acharnés défenseurs de la planification nationale reconnaissent que l’accroissement du revenu national dans les Etats du Tiers Monde n’a pas permis, pour autant, d’améliorer les conditions d’existence de la majorité de leur population : la distribution des biens ainsi créés ne s’est pas faite d’une manière équitable entre les différentes couches sociales. Une autre approche qui privilégie les fonc-tions de distribution s’impose.

Quels types de besoins ?

13Dans la formulation des concepts du développement, un facteur important semble avoir été jusqu’alors négligé : celui des besoins. Le but ultime de tout développement est de déterminer les besoins : quels besoins, pour qui et comment les satisfaire ? La question des besoins est intimement liée au choix du type de développement. L’objet réel de l’activité économique est de satisfaire certains besoins de la société et des hommes qui la composent. Cependant, non seulement le type de besoin à satisfaire est fonction du type de développement choisi, mais les besoins varient dans le temps et selon les structures sociales mises en place.

14Les sociétés ont toujours à faire face à deux types de besoins : ceux qui peuvent s’exprimer (une demande qui peut être satisfaite) et ceux qui ne peuvent s’exprimer (une demande que l’on ne peut pas satisfaire). Chaque société, en raison de ses structures et de son mode de fonctionnement, détermine et sélectionne ses besoins à sa manière. Dans les pays capitalistes, par exemple, le choix des besoins est lié au processus de la maximalisation du profit par l’utilisation du capital. La satisfaction des besoins tend vers cet objectif selon une solide stratégie des entreprises. Ainsi, pour assurer une maximalisation constante des profits dans un contexte de concurrence, les dirigeants des entreprises veillent à ce que leurs marchés ne soient pas saturés, que la demande soit constamment renouvelée et accrue. Evitant la concurrence des prix, les sociétés s’ingénient à mettre sur le marché de nouveaux produits et, à grand renfort de publicité, à attirer l’attention du consommateur sur ces nouveautés. La population en arrive ainsi à « préférer » ce que les stratèges des entreprises lui proposent, tout simplement parce qu’ils ne lui accordent aucun choix. Les sociétés capitalistes n’ont pas le monopole de cette forme d’aliénation des besoins de la population. Elle se retrouve également dans certaines sociétés dites modernes, où l’individu n’a aucune participation dans la détermination et l’orientation des objectifs du développement économique.

15La question des besoins est directement liée à celle de la répartition du revenu national. Produire et distribuer les biens pour la seule satisfaction d’une minorité privilégiée équivaut à créer une dynamique des besoins inséparable d’un dynamisme des inégalités sociales qui privilégie la consommation individuelle. Pour éviter cet écueil, il n’existe qu’une seule solution : changer radicalement le processus de détermination des besoins et de distribution des revenus. Cela n’est possible que dans le cadre d’une planification décentralisée permettant l’information correcte de la population sur les choix possibles en matière de conditions de travail, de production de biens et services, et de style de vie.

Centralisation ou décentralisation ?

  • 1 Cf. Dennis A. Rondinelle, Project Identification in Economic Development, in Journal of World Trade (...)

16L’expérience qui a conduit à une reformulation des concepts du développement a également mis en évidence la nécessité d’une plus grande décentralisation administrative des activités de planification1. Cette expérience fait valoir de nouvelles procédures qui tiennent compte de la capacité réelle des gouvernements de centraliser l’exécution des plans et de contrôler la répartition des investissements. Les résultats d’une centralisation excessive de la planification sont négatifs au regard du développement. Des alternatives à cette centralisation peuvent être cherchées en employant deux méthodes : la première est une planification sectorielle comme complément, voire comme substitut à l’analyse macro-économique. Ainsi, nos planificateurs doivent aujourd’hui établir la priorité des investissements pour trois grandes catégories d’activités : d’abord, les domaines directement productifs de l’économie nationale tels que l’agriculture, les mines, l’industrie et le commerce extérieur ; puis, les sous-systèmes de l’infrastructure (transports, routes, énergie électrique, télécommunications et irrigation) ; enfin, le domaine social (population, emploi, main-d’œuvre, santé, habitat et bien-être social). Par la planification, le gouvernement tentera dès lors de trouver les meilleures stratégies possibles pour réaliser les projets identifiés dans ces différents domaines.

17La deuxième méthode vise à accroître le rôle de la région dans la planification. En effet, dans la mesure où les régions présentent des caractéristiques différentes au niveau des besoins, des conditions et des potentialités, il est indispensable que les investissements destinés aux différentes régions d’un même pays soient conformes aux réalités de ces régions. Dans ce sens, le plan cherchera à servir de lien et à équilibrer les rapports entre régions de même que les rapports entre villes et campagnes. Une telle décentralisation des structures et des procédures nécessite, de la part des autorités régionales, une plus grande capacité et compétence administrative, ce qui est actuellement loin d’être le cas en Afrique. La tâche prioritaire pour nos dirigeants dans le domaine de la réforme administrative, consiste à trouver de nouvelles voies pour accroître la capacité de gestion des structures régionales dans le cadre d’une administration décentralisée. Ces nouvelles voies vont certainement, à leur tour, entraîner une réorientation des fonctions et des objectifs des plans. Les quelques tentatives de décentralisation administrative ont rencontré de très nombreuses difficultés dues à l’utilisation de méthodes et techniques trop sophistiquées, à l’emploi de données statistiques inadéquates, à l’absence d’un soutien politique suffisant ou encore à l’importance excessive accordée aux facteurs financiers au détriment des variables politiques et socioculturelles.

18Cette nouvelle stratégie du développement pose de nouveaux problèmes administratifs. Elle demande, en effet, non seulement une plus grande décentralisation du contrôle administratif et de la supervision des projets, mais également une plus grande et plus active participation des autorités locales et régionales dans la prise de décision et la réalisation des plans. La planification sectorielle et régionale soulève des problèmes complexes de coordination auxquels peu de pays africains sont à même d’offrir des solutions satisfaisantes. D’une manière générale, les autorités locales disposent de peu de capacités de mobilisation et de peu de ressources ; elles dépendent des ministères nationaux pour la plupart de leurs revenus et disposent de peu de cadres qualifiés ; et les ministères sont peu enclins à déléguer des ressources ou des responsabilités aux instances locales.

19La difficulté principale réside ici en l’absence d’une réelle volonté de la part des autorités centrales de décentraliser le pouvoir et les responsabilités. Ces dernières ont, jusqu’à présent, cherché à améliorer les moyens de contrôle sur les instances locales plutôt qu’à promouvoir la capacité d’organisation et d’autonomie de celles-ci. Derrière cette attitude, il y a la volonté politique d’un contrôle général du gouvernement central ; mais il y a également le fait que la planification des investissements est encore perçue comme une technique, alors qu’en réalité, elle est également l’objet de jeux politiques et sociaux intervenant dans les décisions de l’Etat, parce qu’elle affecte la distribution du pouvoir. Contrairement à une opinion largement répandue chez les économistes, les décisions concernant la politique des investissements ne sont pas d’ordre purement technique ; elles sont fondamentalement politiques. Pour établir les plans, l’Etat doit faire œuvre idéologique dans la mesure même où il doit fixer une priorité des besoins à satisfaire. Il doit d’un autre côté faire un travail technique pour utiliser au mieux les ressources disponibles.

20Deux arguments militent en faveur de l’abandon d’une politique de planification centralisée. Le premier est qu’après vingt années de cette pratique en Afrique, peu d’Etats ont réussi à présenter des résultats conséquents. L’observation des efforts déployés par rapport aux résultats obtenus invite à de nombreuses réserves quant à la rentabilité d’une planification fortement centralisée. Le second argument est que, même si cette politique s’avérait économiquement profitable, elle constituerait un obstacle majeur au développement de la capacité administrative au niveau régional. La question fondamentale ici n’est pas de savoir s’il faut accroître la capacité de gestion et d’organisation des régions, mais de savoir si la planification centralisée doit même être poursuivie. Le problème auquel nos Etats sont confrontés n’est pas l’accumulation massive de capitaux ou le développement de méthodes d’analyse ultra-sophistiquées, mais plutôt la recherche des voies les plus appropriées en vue de réaliser effectivement des projets pour lesquels les ressources sont disponibles.

21Comme l’écrivent fort justement à ce propos Caiden et Wildavosky :

  • 2 Naomi Caiden et Aaron Wildayosky, Planning and Budgeting in Poor Countries, New York, Wiley, 1974, (...)

« Pourquoi se soucier de modèles économiques sophistiqués lorsque vous n’êtes même pas à même de gérer l’argent dont vous disposez. Pourquoi, d’autre pari, créer un ambitieux plan quinquennal dont on sait parfaitement que l’on n’a pas les moyens de l’exécuter ; ceci, alors que même les modestes objectifs annuels n’ont pas été atteints.
« L’expérience de la planification dans les pays du Tiers Monde indique que l’analyse des projets est souvent insuffisante, les structures sont chaotiques, la gestion désordonnée, les ventes sont négligées et la comptabilité pratiquement inexistante. La tâche des planificateurs est ici de chercher à apporter une amélioration à tous ces niveaux et non pas seulement au niveau sectoriel ou même au niveau du projet. Si les planificateurs ne sont pas en même temps les réalisateurs du plan, ils seront les victimes de la schizophrénie classique : se débattant entre des documents enchanteurs et de sordides circonstances »2.

22En effet, bien souvent, surtout dans les pays comme la Côte-d’Ivoire, le Kenya et le Gabon, où la croissance est incontestable depuis l’indépendance, les possibilités d’investissement ont été identifiées par des voies autres que celles indiquées par les plans ; ces possibilités sont moins le résultat d’une analyse macro-économique que celui des occasions offertes par des activités d’entreprises privées, des actions de dirigeants politiques, des interventions d’organisations internationales, voire d’organisations non gouvernementales. La planification centralisée n’est pas seulement complexe et difficile, elle peut aussi être inadéquate et inefficace comme moyen de développement. Jusqu’à présent, la planification en Afrique a constitué un instrument entre les mains des techniciens, des économistes et de quelques dirigeants politiques essayant d’imposer des priorités dans le cadre de stratégies d’investissement optimales. Ce petit groupe s’est attaché à prescrire des critères auxquels l’ensemble de la population devait se soumettre, au lieu de dégager, grâce à la décentralisation, une plate-forme favorisant une large participation de la population aux prises de décisions. Les objectifs de la planification du développement en Afrique doivent être redéfinis pour permettre vin accroissement de la capacité administrative des régions et la mobilisation et l’investissement des ressources.

23Préconiser la décentralisation de la planification du développement ne signifie pas que certaines mesures de coordination ou encore que certaines analyses macro-économiques conduites au niveau du gouvernement central ne soient pas possibles ni souhaitables. Le gouvernement central doit pouvoir orienter le progrès économique et social, car les seules opérations de la libre entreprise sont incapables d’offrir des solutions acceptables aux nombreux problèmes d’inégalité issus de l’inégale redistribution des revenus de l’effort commun de la société. Mais il s’avère aujourd’hui que vingt années d’expérience de la planification centralisée, en tant qu’instrument primordial de la politique de développement économique en Afrique, ont suffisamment montré l’inefficacité de ce système à engendrer nécessairement le développement économique et social.

24En fait, la création d’un processus de planification permettant à la fois d’élargir le pouvoir de décision et d’accroître la capacité administrative et de gestion des cadres constitue l’une des difficultés majeures auxquelles même les pays socialistes sont encore confrontés.

  • 3 Denis Goulet, Development or Liberation ?, in International Development Review, vol. 13, No. 3, Sep (...)

25Le succès de la planification économique et sociale ne se mesure pas seulement en terme de profits et de gains quantifiés, mais surtout à la qualité des changements intervenus dans le processus du développement en question3. En effet, dans nos pays, des objectifs tels que l’élargissement du processus de décision politique au plus grand nombre ou la qualité de la formation des cadres ou, encore, les actions susceptibles de réduire le poids de la domination des intérêts étrangers, importent autant que la quantité de biens accumulée. En d’autres termes, parler de redistribution des réserves sans un effort conséquent de croissance économique et de la productivité est chimérique. En revanche, une croissance qui ne s’assortit pas d’une politique de redistribution ne profite vraiment qu’à la minorité et ne change en rien les conditions d’existence de la majorité de la population.

  • 4 A. Denis Rondinelli et Kenneth Reddle, Political Commitment and Administrative Support: Preconditio (...)

26Dans nos pays, la nécessité d’un développement généralisé, qui profite à la majorité de la population, appelle une réorientation des stratégies de la planification. La fonction de la planification doit être d’offrir des modèles d’investissements optimaux et globaux et de permettre aux cadres administratifs de formuler des politiques de développement élargissant la participation de la population à l’édification de l’économie nationale. En effet, les décisions en matière d’investissement ont toujours été et resteront des décisions de nature politique. Les stratégies adoptées en la matière visent à promouvoir les objectifs politiques nationaux ; de ce fait, elles ont besoin d’un soutien politique. Les stratégies de mobilisation de ce soutien politique sont aussi importantes que le contenu même des plans d’investissement. L’expérience africaine en matière de planification souligne à quel point il est nécessaire, si l’on veut assurer une transformation économique et sociale, d’intégrer les politiques nationales, les directives administratives et les décisions législatives. Une attention constante des dirigeants politiques est nécessaire pour transformer les plans de développement en des programmes d’action assurant une redistribution équitable des ressources et une extension de la participation populaire au processus de développement4.

27Quel que soit leur degré de sophistication, les plans d’investissement sont inutiles s’ils ne sont pas exécutés grâce à un système budgétaire efficace. Or, actuellement, les systèmes budgétaires de la plupart des Etats africains ont besoin d’être revus et corrigés pour accorder la priorité aux projets de développement sociaux et égalitaires, les améliorer et augmenter la part qui leur est assignée. La plupart des systèmes budgétaires africains manquent de flexibilité et ne permettent pas, par exemple, aux différents ministères d’utiliser les ressources déjà allouées pour financer des dépenses non programmées. Les procédures budgétaires sont encore trop complexes et trop rigides, et les délais d’exécution trop longs. En raison même de ces procédures, les délais dans la transmission des décisions budgétaires entre la capitale et les provinces sont encore extrêmement longs. De ce fait, il arrive encore que les fonds ne soient pas alloués à temps pour effectuer des dépenses prévues dans le cadre de l’année fiscale. Par ailleurs, dans la mesure où l’on peut renforcer la capacité des ministères dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle et dans la mesure où l’on peut renforcer la capacité technique de gestion des agences locales d’exécution, il est possible de mieux pallier à la rupture actuelle entre la formulation des plans et leur exécution. Ici, il incombe aux planificateurs de former les responsables des différents ministères à l’analyse sectorielle des plans et de donner aux responsables régionaux la formation nécessaire pour s’acquitter de leurs responsabilités dans le cadre d’une planification décentralisée. Donner aux autorités locales la possibilité d’identifier, d’exécuter et de promouvoir des investissements prioritaires est aujourd’hui une nécessité du développement économique et social en Afrique. Il importe, avant tout, d’améliorer le système des impôts locaux, le système de répartition des revenus, les compétences des fonctionnaires locaux et le renforcement de leur autorité dans le processus de décision en formant des cadres, des gestionnaires et des planificateurs locaux. En d’autres termes, faute de pouvoir augmenter la capacité d’organisation des régions, la planification économique et sociale restera lettre morte. Faute de disposer des moyens nécessaires — équipements, finances et différents services administratifs adéquats — une partie importante des populations ne peut pas participer pleinement au processus du développement.

28Le gouvernement central doit intervenir pour fournir aux régions ces moyens qui permettront de réduire le coût de production des investissements et de lever les obstacles à une productivité accrue. Il doit également pouvoir intervenir, par des moyens légaux, pour assurer l’accès de la population aux ressources, facteurs de production et à d’autres domaines d’activité économique.

29Le développement repose en grande partie sur le renforcement des liens, l’équilibre et la coordination entre le secteur public, le secteur privé, le niveau national et le niveau régional. Entre ces différents agents, un puissant courant d’interaction, d’échange d’information et des ressources doit être maintenu. Cela permettra notamment d’établir des liens organisationnels permanents, qui feront du développement régional et local plus qu’un simple appendice du développement central.

2. A situation particulière, développement particulier

30La conception actuelle du développement en Afrique procède d’une vue simpliste d’une expérience historique de portée relative et spécifique à l’Occident. Par ailleurs, cette vision a tendance à isoler l’économique des autres éléments tout aussi importants du développement, à savoir le social, le politique et le culturel, réduisant ainsi le développement à la simple notion de croissance économique, de croissance des choses. Cette approche confère implicitement à la maximalisation du revenu une priorité sur toutes les autres aspirations nationales ; il s’agit, en d’autres termes, d’enrichir le pays le plus rapidement possible, même au détriment des valeurs nationales, des droits civiques les plus élémentaires et du bien-être social. Par ailleurs, elle fait peu cas de la distribution des revenus parmi les différentes parties de la population. Cette distribution est considérée comme quasi automatique par le jeu du marché ; et tout ce qui peut constituer un obstacle à la croissance du revenu national est intolérablement écarté.

31Vingt années d’une telle politique de développement ont largement démenti ses hypothèses de base. Le peu de croissance économique obtenu a bénéficié à une minorité de fonctionnaires, de cadres et de commerçants établis dans les zones urbaines. La copie servile des modèles occidentaux de planification n’a pas entraîné le développement escompté. Elle aura toutefois permis aux cadres africains de disposer de données statistiques indispensables dans des domaines tels que la démographie, l’urbanisation, l’emploi, les déséquilibres régionaux, le commerce et les finances ; ces données ont quelquefois contribué à mesurer les dimensions et l’ampleur réelles du développement économique et social en Afrique. En raison même de l’insuffisance de ces résultats, les dirigeants africains doivent réexaminer sérieusement les fondements théoriques de leurs plans de développement. Parmi les nombreux facteurs à reconsidérer ici, figure l’interprétation même du processus du développement africain.

32La formulation des stratégies de développement ne relève pas de la seule vision technique du monde auquel elles s’appliquent. La réalité complexe du sous-développement se trouve reflétée dans les institutions, les traditions, les groupes sociopolitiques et les relations extérieures des pays qui en sont l’objet. Leur conception du développement et du sous-développement est superficielle, fragmentée et purement économique : le sous-développement y est limité à ses aspects de production industrielle et de croissance ; les plans de développement semblent ignorer le social, l’idéologie et l’interaction de toute une série de données complexes. Dans leur interprétation du sous-développement, les auteurs des plans africains ont compris et présenté ce phénomène comme étant une étape primaire de la croissance des nations de cette région du monde ; l’étape supérieure, celle de la maturité, étant celle atteinte par les pays industrialisés.

33Cette vision mécaniste et idéaliste qui ignore la véritable nature du sous-développement doit faire place à une approche plus analytique, susceptible de constituer une base théorique pour la formulation d’une véritable politique de développement. Une telle politique doit mettre l’accent moins sur le degré de développement que sur le type de développement. En effet, la vraie question, ici, par-delà la croissance quantitative des choses, est de savoir à qui profite cette croissance. Dans la politique suivie, quels sont les besoins considérés comme prioritaires et qui en supporte le coût ? C’est pourquoi le développement ne peut se concevoir qu’à travers les changements de structures.

34En Afrique, les structures du sous-développement sont à la fois marquées par des facteurs intérieurs et des facteurs extérieurs (les relations de domination avec l’étranger). Parce que le sous-développement n’est pas « un moment » dans l’évolution d’une société isolée — mais bien une partie d’un processus historique général du développement — toute politique sérieuse de développement doit reposer sur les concepts de processus, de structure et de système. C’est dans ce sens que le sous-développement et le développement constituent des structures interdépendantes dans un même système. La différence entre les deux structures réside dans le fait, pour les pays industrialisés, de pouvoir produire un développement endogène et, pour les pays sous-développés, d’être dans une situation d’économies dominées. Le problème fondamental pour une économie sous-développée est, dès lors, de sortir de la situation de domination pour développer une plus grande capacité de croissance autonome et réorienter son système socio-économique, politique et culturel afin de satisfaire ses propres besoins. Pour être efficace, une telle politique doit être fondée sur la participation active des populations, à la fois objets du développement et sujets de son processus.

35Par ailleurs, la lente croissance économique, l’instabilité, le sous-emploi, les inégalités, la monoproduction, la dépendance économique et politique sont des facteurs qui caractérisent le sous-développement africain ; mais ce ne sont pas des déviations du modèle idéal, celui des pays industrialisés. Ces facteurs ne sont pas des maladies de jeunesse curables par la modernisation et la croissance économique. Ils constituent le résultat du fonctionnement d’un système déterminé et se perpétuent tant que la planification du développement se bornera à attaquer seulement les symptômes du sous-développement et non ses véritables causes qui sont d’ordre structurel. En d’autres termes, la nouvelle formulation du développement en Afrique, si elle veut porter des fruits, doit se fixer trois objectifs essentiels. Primo, elle doit changer la nature des structures politiques actuelles qui constituent, fondamentalement, la source de la plupart des manipulations internes et externes de toutes sortes auxquelles nos populations sont soumises sur les plans culturel, social et politique. Secundo, cette nouvelle politique doit renforcer et enrichir les cultures nationales qui, dans une très large mesure, déterminent nos objectifs de société. Enfin, elle doit développer la capacité de nos sociétés dans le domaine de la recherche scientifique, car, sans lui sacrifier l’âme de nos sociétés, la recherche scientifique au service d’une culture humaniste peut contribuer considérablement à accroître notre capacité d’action.

3. Une planche de salut : le développement régional intégré

36Les Etats africains ont manifestement hérité d’un appareil administratif inadéquat pour affronter un nombre considérable et fort complexe de tâches du développement. Dans ses interventions, l’Etat a essayé de combiner un système économique capitaliste et libéral avec un certain absolutisme politique. Agissant de sa propre autorité, sans tenir compte des profondes réalités socioculturelles locales, l’Etat africain tout-puissant a favorisé l’instauration de la dépendance étrangère, une stratification sociale et un pouvoir rigides et conservateurs. La seule limitation à ces interventions est le fait des entreprises étrangères et de leurs filiales locales, hostiles à ces interventions quand celles-ci ne vont pas dans le sens de leurs intérêts.

37Les interventions décousues, improvisées et contradictoires de l’Etat africain ont été génératrices de toutes sortes de conflits et ont alimenté l’irrationalité et l’anarchie. Ce mélange de libéralisme économique et d’absolutisme politique a manifestement aggravé les conditions du développement africain. Ce comportement de l’Etat africain ne résulte pas d’une intention délibérée, planifiée, de transformer la situation socio-économique et politique en Afrique. Il tient de l’improvisation et apparaît comme une réponse à la pression des événements. Devant les nombreuses alternatives en matière de développement économique, l’Etat africain s’est montré incapable de dégager une idéologie, des options claires et des valeurs susceptibles de promouvoir une stratégie de développement valable. L’Etat africain est un Etat stagnant : il ne joue pas le rôle de pionnier du développement et ne donne pas une image flatteuse de l’autorité publique. L’Etat africain et son service public pourraient fort bien constituer un puissant instrument de développement ; mais cet instrument est aujourd’hui soit mal utilisé, soit simplement ignoré. Il y a lieu de sortir de cette situation ambiguë et instable pour définir clairement les critères et les normes générales fixant le type de coexistence entre le secteur public et le secteur privé. Il faut déterminer les domaines de compétence entre les deux secteurs et le rôle dévolu à l’Etat dans le contrôle et l’exercice du pouvoir public.

38Par rapport aux réalités africaines symbolisées par les populations, les institutions proposées depuis l’indépendance sont abstraites et formelles. Elles sont, de ce fait, inopérantes et manquent de cadre de réalisation. Ces modèles sont utopiques et anachroniques : les avantages qu’ils présentent ne sont pas apparents et les dangers que l’Afrique court en cas d’échec ne sont pas spécifiés. Ils n’ont de racines ni dans la population, ni dans l’élite africaine et, de ce fait, manquent du soutien populaire indispensable. Dans l’ensemble, ces modèles ont fait faillite. D’autres voies doivent être prospectées : des alternatives qui favorisent à la fois le développement et l’intégration régionale. Sans entrer dans le détail de ce que comporte l’ensemble d’une telle politique, voyons brièvement quels pourraient être certains de ses moyens.

39Pour stimuler la croissance économique et tirer pleinement avantage de la science et de la technologie, la seule alternative valable pour l’Afrique est l’union. L’intégration africaine est une nécessité, un impératif de l’Afrique en tant qu’entité socio-économique, politique et culturelle viable, c’est-à-dire, capable de répondre aux exigences d’un monde en évolution rapide, où dominent la compétition et l’interdépendance des intérêts. Pour l’Afrique, c’est une nécessité, dans la conjoncture internationale, de démontrer sa compréhension et sa maîtrise de la situation globale, de ses structures et des formes d’expression de son pouvoir. C’est, devant l’expression du jeu de ce pouvoir, la nécessité d’exprimer une politique qui identifie l’Afrique dans ses aspirations les plus profondes et lui permette de prendre l’initiative de l’action dans des domaines qui n’échappent pas à son contrôle.

40L’intégration africaine, certes, rencontre encore beaucoup d’obstacles. Ces derniers vont du doute de gens sincères, hésitant devant l’inconnu ou devant les obstacles techniques et politiques à vaincre, aux réticences de ceux qui, par simple ignorance ou par intérêt, se complaisent dans le statu quo. Nous le savons à travers des exemples historiques : l’intégration régionale n’a été acceptée que par la force des circonstances et toujours avec des réserves de certains groupes sociaux et politiques dans les pays intéressés.

41Néanmoins, malgré les obstacles actuels, dont certains sont temporaires, l’intégration africaine se fera, si l’Afrique veut vivre avec son temps. Non, l’intégration africaine n’est pas un caprice de technocrates ou d’intellectuels. Pour les Africains, c’est la réponse aux défis du passé, du présent et du futur. C’est, pour les élites africaines, la réponse à deux siècles et demi d’esclavage et près d’un siècle de colonisation. C’est pourquoi l’intégration régionale s’inscrit dans l’histoire de nos peuples. Elle doit s’inspirer des réalités et valeurs africaines ; et, ce faisant, mettre en œuvre des moyens puissants pour sa réalisation. C’est l’étape de la lutte de libération nationale après l’indépendance nominale.

42Bien entendu, l’intégration régionale ne va pas, à elle seule, susciter automatiquement le développement, la modernisation et l’indépendance. En d’autres termes, l’intégration est une condition nécessaire, mais non suffisante du développement économique et social de l’Afrique. L’intégration n’entraînera pas par elle-même la stabilité sociale et la mise en place des structures du pouvoir politique requis. On peut toujours débattre la question de savoir si les Etats africains réussiront ou non une politique d’intégration régionale sans une intégration nationale suffisante. Aujourd’hui, l’essentiel pour nos Etats, c’est le choix entre le nationalisme étriqué — une aventure dont on peut prédire déjà les conséquences — et un effort collectif de construction solidaire, fondé sur des épreuves historiques communes subies par nos peuples.

43En admettant l’intégration africaine comme inévitable et irréversible, il y a lieu d’éviter une intégration que les dirigeants et les peuples ne contrôleraient pas. Il faudra envisager une stratégie correspondant à un modèle concret et basée sur une conception globale du développement et de l’intégration. Un modèle qui embrasse à la fois l’économique, le social, le politique, l’idéologique et le culturel ; et qui mette l’accent sur l’interaction entre développement et intégration considérés comme un processus général, un courant issu de l’intérieur, propulsé dans la masse africaine. Dans cette action, les transformations structurelles sur le plan national et l’intégration régionale doivent s’appuyer mutuellement. Le développement et l’intégration régionale que nous privilégions ici demandent une analyse créative et des solutions originales, adaptées aux conditions locales africaines. Cela implique une stratégie plus ou moins cohérente devant un certain nombre d’options économiques, politiques, idéologiques et culturelles. C’est pourquoi il y aura lieu, en particulier, de préciser clairement et de manière réaliste les données suivantes :

  1. Le système de valeurs sur lequel les modèles choisis sont fondés ; les objectifs, les buts et les priorités qui leur sont fixés ; les modèles rejetés dans le passé et les nouvelles approches suivies.

  2. Une idéologie offrant un cadre rationnel pour la mobilisation intellectuelle, sociopolitique de la majorité de la population ; et les transformations institutionnelles envisagées.

  3. Les forces, les intérêts ou les agents bénéficiaires réels et potentiels du développement et de l’intégration souhaités ; l’importance relative de ces forces.

  4. Les objectifs, conditions, méthodes, instruments et phases du développement et de l’intégration envisagés ; leurs implications et conséquences ; le système économique, politique et culturel souhaité et sa place dans le contexte international.

44Cette forme de développement et d’intégration africaine vise à promouvoir rapidement un vaste mouvement de soutien populaire, les transformations structurelles nécessaires, une croissance de la production agricole et industrielle, une redistribution progressive des revenus obtenus de l’activité économique ; asseoir et assurer l’indépendance économique nationale, tout en favorisant l’intégration régionale ; donner la priorité à la formation et l’accumulation du capital national, tout en suscitant et contrôlant l’apport étranger nécessaire mais considéré comme étant un appoint à l’effort national et non un substitut ; favoriser à l’intérieur des Etats et dans la région de meilleures relations socio-économiques et une répartition plus équitable des efforts, des sacrifices, des bénéfices, des statuts et du pouvoir.

45Cette politique vise, en d’autres termes, à remplacer le type de développement sporadique actuellement en place par un système susceptible d’assurer un développement général et intégral ; elle vise à démocratiser l’économie, la société, la culture, les institutions et l’Etat africains ; cela, afin de permettre aux peuples africains de devenir les véritables agents du développement de leur société. L’objectif ultime et la justification de cette politique est la création de structures économiques, sociopolitiques et culturelles susceptibles de satisfaire, dans une grande mesure, les besoins croissants des populations africaines et de garantir aux Africains le plein développement de leur personnalité.

46Le couple développement-intégration en Afrique implique encore :

  • des dirigeants actifs, partisans de l’intégration, décidés à la promouvoir et exerçant un contrôle étendu sur le pouvoir et le processus de décision politique ;

  • un consensus national en faveur de l’intégration et du développement, fortes de quoi les autorités peuvent agir efficacement ;

  • un ajustement réciproque des institutions nationales et régionales : des politiques nationales coordonnées systématiquement avec les données régionales ;

  • la création d’institutions régionales et supranationales investies d’un pouvoir de décision politique, économique et diplomatique ;

  • la fin de la dépendance actuelle à l’égard de l’étranger et l’élaboration d’une plate-forme de politique étrangère africaine susceptible d’assurer la défense des intérêts de l’Afrique sur la scène internationale.

47D’une manière générale, ce modèle requiert enfin :

  1. La montée et l’affirmation d’une équipe politique et technique d’avant-garde, ayant une vision claire et nette des moyens, finalités et priorités de Faction dans laquelle ils sont engagés ; une équipe idéologiquement et politiquement lucide, techniquement compétente, dévouée aux intérêts de la société, de la nation et de la région en Afrique ; une équipe résolument engagée dans l’exécution des tâches nécessaires et consciente du danger de se retrouver dans la position d’un groupe privilégié et isolé au sein de la nation.

  2. Une large prise de conscience nationale qui participe amplement à l’effort général déployé en faveur du changement, des réformes et de leur application.

48Le développement et l’intégration en Afrique requièrent de rapides et profonds changements dans la société et la région considérées comme un tout soumis à un processus d’évolution indéterminé. Les convulsions, les conflits sociopolitiques, parfois même la violence, font partie de cette évolution. Mais, grâce à son dynamisme, l’approche que nous privilégions ici sera compatible, dans une première phase, avec un type d’économie mixte. Le choix entre la réforme et la révolution, le capitalisme ou le socialisme reste posé. Mais, nous le savons déjà aujourd’hui, en Afrique comme ailleurs, aucun de ces modèles historiques ne garantit inéluctablement le succès en matière de développement économique, social et culturel des nations. Des alternatives viennent toujours, dans le courant de l’effort, dans l’action, enrichir ce choix apparemment limité. Nous espérons alors que le choix africain demain sera conforme aux aspirations et aux intérêts de nos populations.

4. Un moyen concret au service de l’Afrique : les entreprises publiques de coopération économique régionale

49L’Etat et l’entreprise d’Etat doivent jouer un rôle primordial dans le développement et l’intégration régionale en Afrique.

50L’Etat, historiquement, a souvent joué un rôle de tout premier plan dans la réduction des particularismes locaux. Tout pouvoir, toute organisation supranationale, passe nécessairement par l’Etat national. L’intégration africaine passe par une harmonisation des politiques économiques, en particulier dans le secteur public.

51Dans le processus général de l’intégration africaine, des actions spécifiques doivent compléter le plan d’ensemble. Parmi ces actions, ü en existe une qui peut contribuer considérablement à consolider le développement régional : ce sont les entreprises publiques de coopération économique régionale (epcer). Ces entreprises peuvent constituer des centres importants pour les activités d’intégration ; centres à partir desquels on pourra stimuler l’intégration à tous les niveaux, en se concentrant sur la formation de puissants courants de solidarité avec effet multiplicateur et la participation de divers intérêts, groupements publics ou privés — courants qui encourageront de nouveaux projets d’intégration et renforceront ainsi la dynamique du processus d’intégration. Ces centres, en offrant un cadre conceptuel d’analyse et d’action opérationnelle, contribueront à démontrer la nécessité et la viabilité de l’idée d’intégration. Ils créeront et garantiront une certaine unité sectorielle, des économies d’échelle et permettront une meilleure utilisation des ressources humaines et matérielles de la région.

52C’est une politique qui pourrait actuellement fort bien être conçue dans des domaines comme les transports, les communications, les services publics, l’éducation, la santé, l’énergie ou certaines industries de base. Cette coopération pourrait s’étendre encore à la diversification de la production agricole ou à la production minière dans le but de servir le marché régional. Ce sont des activités qui, somme toute, demandent des investissements considérables sur le plan humain, matériel et financier ; qui impliquent des plans et des projets à long terme ; et, surtout, des institutions intergouvernementales investies de pouvoirs et de moyens d’action. Ces institutions nécessitent une autonomie fonctionnelle et organique car, d’un côté, un excès d’autonomie conduirait à la dispersion, l’irresponsabilité et l’anarchie ; et, de l’autre, une insuffisance d’autonomie entraînerait une certaine bureaucratie, des interventions excessives des gouvernements cherchant à contrôler l’institution. Elles requièrent encore, pour un fonctionnement correct, des pouvoirs gouvernementaux combinés avec un degré important de liberté, de flexibilité et d’initiative. Elles s’accommodent mal de la rigidité et de la routine propres aux administrations nationales ; et elles doivent être protégées des pressions nationales, politiques ou privées ; ce qui leur permettra d’attirer et de retenir des cadres compétents, capables d’innovation et dédiés à la cause du développement et de la coopération régionale.

53L’autonomie leur est nécessaire pour arbitrer les conflits d’intérêts entre les Etats participants et veiller à ce que le développement ne se produise au profit de certains membres et aux dépens d’autres. Par ailleurs, une direction unifiée et la garantie des Etats participants faciliteront le financement international de ces entreprises, leur gestion et leur supervision.

54Ces entreprises vont, à côté des entreprises privées dans d’autres secteurs, aider à établir entre les Etats de la région des liens socio-économiques difficilement réversibles. L’entreprise publique de coopération économique régionale doit contribuer à poser les infrastructures de l’intégration, à créer et consolider les industries clefs, la technologie de pointe, la planification régionale (les frontières, le bassin des fleuves internationaux, etc.). Enfin, le secteur public pourrait contribuer à harmoniser les politiques économiques et sociales des Etats membres (conditions de travail, emploi, statut des travailleurs, monnaie, crédit et finance). Les résultats d’une telle politique d’harmonisation pourraient même servir d’exemple aux entreprises privées et conduire vers une harmonisation des législations.

55Les plans d’investissement régionaux doivent respecter une certaine convergence opérationnelle avec des activités économiques du secteur public, en élargissant les domaines d’application des plans nationaux et en les harmonisant. En élargissant le nombre des bénéficiaires, une telle politique contribuera à créer des domaines d’intérêt et des objectifs communs aux Etats de la région. Ces intérêts entraîneront nécessairement une certaine solidarité tant à l’intérieur des Etats qu’entre eux. Plus encore, ces investissements régionaux encourageront des activités économiques communes et l’échange durable, nécessaires pour une croissance équilibrée ; ils contribueront également à la création d’une nouvelle géographie socio-économique et politique qui aidera à surmonter les déséquilibres actuels entre Etats africains ; ils stimuleront l’interdépendance des nations africaines, et adapteront les frontières nationales aux nouvelles réalités socio-économiques.

56Cette coopération régionale africaine devrait être conçue comme une coopération contractuelle entre les autorités publiques et les centres de production des différents Etats de la région ; contrats portant sur des contributions spécifiques, à des conditions déterminées à l’avance et visant des objectifs communs à travers un effort commun. Elle devrait avoir pour objet de tisser et institutionnaliser des liens d’intérêts, de production et d’échange entre les centres de décisions représentant l’intérêt public (Etat ou entités publiques décentralisées). Cette politique devrait avoir pour objet l’installation d’unités de coproduction sur la base d’accords internationaux. Ces derniers peuvent soit se contenter d’établir les conditions générales de cette coopération, soit, encore, aller jusqu’à engager les Etats dans certaines activités.

57Il s’agira encore, dans le cadre de tels accords, de définir les conditions de création des associations en question : méthodes de sélection des plans, des programmes et des projets ; modes de financement et contributions diverses ; location par rapport aux marchés ; distribution des profits et des pertes ; modes de réinvestissement. Chaque Etat participant doit pouvoir poursuivre des objectifs indépendants sans pour cela affecter l’objectif commun des autres partenaires.

58Cette force de coopération entraînera, certes, des conflits nouveaux. Mais la coproduction tendra, tout de même, à affirmer l’engagement des parties dans la voie d’une certaine collaboration. Le comportement des parties doit toujours respecter les objectifs de la coopération et ne jamais les contredire. Les structures et le fonctionnement des organismes de coopération doivent toujours être adaptés aux conditions générales du développement des membres.

59La difficulté réside dans la construction d’unités qui, dans un cadre limité, peuvent entreprendre le développement et l’intégration régionale ; unités conçues comme des entreprises communes, organiques et fonctionnellement autonomes. La participation à de telles unités peut être de nature privée, publique ou mixte. Néanmoins, de nombreuses options sont possibles. Ainsi, les parties pourraient limiter le nombre des entreprises de coproduction ; et, ce faisant, réduire considérablement les complications administratives et juridiques et limiter leurs engagements financiers. Dans ces conditions, des institutions préexistantes prendraient simplement en charge la nouvelle activité, accorderaient différentes facilités et administreraient le programme comme un « Programme spécial » ou un « Accord spécial ». Les parties pourraient encore créer au niveau national un service particulier, un département ministériel — et non une nouvelle institution interétatique — chargé de l’exécution du projet commun au nom des Etats membres. Par ailleurs, des institutions pourraient être créées afin de conférer aux entreprises de coopération régionale une certaine permanence et une certaine autonomie. Quoi qu’il en soit, la forme institutionnelle devrait être fonction de la nature des tâches à accomplir.

60Les accords établissant les entreprises publiques de coopération économique régionale devront spécifier leur type, leurs objectifs, le droit qui leur est applicable, leur personnalité et capacité juridiques et leur nationalité. Ils devront encore préciser leurs structures, fonctions et modes opérationnels ; la nature de leurs avoirs, de leurs immunités et privilèges ; la nature de leurs relations avec les gouvernements participants ; les droits et obligations de ces derniers ; et la nature des relations entre l’entreprise régionale et les autres entreprises publiques ou privées.

61Il appartiendra à chaque Etat, conformément à sa propre constitution et à ses lois, de décider de sa participation ou non aux entreprises publiques de coopération économique régionale. Il appartiendra aux Etats membres de fixer les conditions d’utilisation du patrimoine de l’entreprise régionale. Ils peuvent étendre ou réduire ces dispositions à tout moment.

62Ainsi, la création d’une entreprise publique de coopération régionale n’implique pas nécessairement un transfert de souveraineté ; elle signifie plutôt la création d’une autorité et une politique commune dans certains secteurs, programmes ou projets de développement. Cependant, l’entreprise publique de coopération économique régionale doit être conçue comme une entité indépendante, dotée de sa propre personnalité et capacité juridique et d’une autonomie administrative. Elle requiert une large autorité dans les domaines tels que : finance, comptabilité, patrimoine, acquisition et disposition des biens et services, personnel et arrangements contractuels. Le domaine de sa compétence devrait être fonction du rôle qu’elle est appelée à jouer et des objectifs qui lui seront assignés. Le patrimoine et les finances de l’entreprise publique africaine de coopération devront être, en principe, gérés séparément des budgets nationaux. L’entreprise devra, d’une part, satisfaire aux critères de gestion exigés dans n’importe quelle entreprise (équilibre des dépenses et recettes, réinvestissement des surplus, épargne, amélioration des conditions de travail, etc.) ; elle pourra faire des emprunts financiers auprès de gouvernements, de banques privées ou d’institutions internationales. Elle devra, d’autre part, concilier ces objectifs de rentabilité et d’efficacité avec les objectifs sociaux et politiques des Etats participants.

63Quoique organiquement liée aux Etats participants, soumise à leur contrôle et responsable devant eux, l’entreprise publique de coopération économique régionale devrait être indépendante de ces derniers. Son contrôle et sa supervision devraient être centralisés et confiés à un conseil, ou une agence internationale, représentant tous les Etats participants. Elle devra jouir de larges pouvoirs pour déterminer son statut personnel, qui ne doit, en aucun cas, être calqué sur celui des fonctionnaires des Etats participants. En principe, les gouvernements ne devraient pas avoir droit au chapitre en ce qui concerne l’emploi, les salaires et la discipline au sein de l’entreprise. Avec son personnel recruté parmi les Etats membres, les seuls critères devant prévaloir ici devraient être la compétence, le dévouement au service public et le succès de l’entreprise commune.

Quelles sont les solutions pour le développement de l'Afrique ?

La bonne gouvernance est la solution aux problèmes du continent africain. Les défis en matière de paix et de sécurité traduisent surtout des problèmes de gouvernance, tels la gestion des élections. Même les problèmes liés au terrorisme, à la gestion de la diversité, au développement ont trait à la gouvernance.

Qu'est

La population Nombreux sont les pays qui stagnent ou reculent. Ils seront dans l'incapacité de donner à leurs jeunes le logement, la santé, l'éducation et le travail dont ils ont besoin. L'Afrique compte de 400 à 500 millions de pauvres, qui n'ont même pas l'électricité.

Quel modèle de développement pour l'Afrique ?

La croissance économique en Afrique en 2019 est estimée à 3,2 %, soit un peu moins que le taux de croissance de 3,4 % enregistré en 2018. La Côte d'Ivoire, l'Éthiopie, la Mauritanie, le Rwanda et la Tanzanie sont en tête et comptent parmi les économies qui affichent les taux de croissances les plus élevés au monde.

Comment je peux aider mon pays à se développer ?

Le transfert des technologies des pays riches aux pays à faible ou moyen revenu devrait également être considéré comme une aide au développement durable. La technologie est importante dans la mesure où elle améliore la productivité des populations, et booste ainsi la croissance économique globale.

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