Comment la question du changement climatique Sest

Comment la question du changement climatique Sest

Meduse communication

Certaines idées reçues sur le climat ont la peau dure ! L’Institut national des sciences de l’Univers (Insu) du CNRS s’est associé au site Bonpote.com pour démystifier les plus tenaces d’entre elles. Consensus sur le changement climatique, liens entre climat et activités humaines, fontes de glaciers, relations entre événements extrêmes et changement climatique… Chaque idée reçue fait l’objet d’un article, écrit à plusieurs mains avec les chercheurs les plus pointus du domaine, et publié sur Bonpote. Chaque article est ensuite résumé en sketchnote sur le site de l’Insu.

  • 1 Martine Tabeaud, « Concordance des temps. », EspacesTemps.net, Actuel, 18.02.2008 http://espacestem (...)

1Le changement climatique et ses effets semblent désormais avérés et liés, au moins en partie, à l’effet de serre additionnel d’origine anthropique, ce qui se traduit par l’inscription de cet enjeu majeur sur les agendas politiques mondiaux, européens et français. Parce qu’il est au cœur des questions de développement, il ne s’agit pas d’un problème environnemental mineur, ni d’une question annexe, mais « il redevient un objet géopolitique avec le « réchauffement planétaire » (Tabeaud, 2008)1 qui « marginalise la référence spatiale autre que planétaire pour survaloriser la dimension temporelle vers le futur ». Mais les perspectives ouvertes par le changement climatique mettent également à l’épreuve nos modes de gestion des ressources, nos comportement individuels et interrogent nos modes de production et de consommation contemporains. La problématique du changement climatique porte alors sur la redéfinition des modalités d’accès aux ressources, de partage du risque, de capacité à intégrer la question environnementale pour des collectifs évoluant dans des environnements multiples (naturel, social, institutionnel, politique, administratif, expertise…), en interaction et évolutifs. Elle interroge aussi notre responsabilité individuelle car il n’y a pas de petits gestes pour la planète « quand on est 60 millions à les faire ». Peut-on croire que l'insignifiance à l'échelle individuelle ait un impact significatif à l'échelle collective ?

2Cependant, la dimension planétaire n’occulte pas l’ancrage territorial de la manifestation physique des impacts de ce phénomène et les nécessaires démarches de réduction des émissions. Il agirait même comme un révélateur des vulnérabilités territoriales. Aussi, la mise sur agenda du problème « climat » à l’échelle territoriale interpelle l’action publique qui ne peut se limiter à l’action seule de l’État. Dans ce contexte, les collectivités territoriales et les citoyens peuvent apparaître comme des leviers démultiplicateurs incontournables pour remplir les objectifs et les engagements internationaux de l’État, voire comme ceux qui ont la vision la plus sensible du changement climatique.

3Alors, face au changement climatique, comment s’articule et se régule socialement et politiquement l’action publique ? En effet, le climat est devenu un enjeu de communication. Et la tentation d’instrumentaliser l’action publique en ce domaine ne relève pas de la fiction. Parfois, ce changement nous est montré comme construit collectivement dans le cadre de l'État régulateur. Dans ces conditions, l’action publique faite de mesures d’atténuation et d’adaptation s’imposerait comme une évidence. Considérer cela nous renvoie à deux interrogations : d’abord, quelles sont les démarches concrètes et les actions publiques mises en place et à quelle échelle pertinente ? Puis, comment certains acteurs utilisent-ils à tour de rôle les institutions pour faire des politiques publiques dans un contexte d’inquiétude et d’incertitude ?

4En effet, terme d’un mandat politique ou enjeu électoral, l’action menée par l’État et par les collectivités territoriales contre le réchauffement climatique se trouve toutefois confrontée à ses limites. Celles-ci sont tout d’abord fondées sur l’impact de la gouvernance locale au regard de la dimension planétaire des phénomènes constatés. Cette objection majeure souligne bien les contradictions du débat : à quoi bon, en effet, doter les parcs automobiles municipaux de véhicules électriques, alors même que le taux de rejets polluants s’accroît de manière constante à l’échelle mondiale, dans le cadre d’échanges globalisés, organisés en fonction d’une finalité strictement productiviste ? Ensuite, comme le souligne Jacques Lévy à propose du changement climatique : « ce qui apparaît comme un constat presque indiscutable est cependant aussi un objet complexe, à l’intersection de la science et de la politique. À la question « Que sait-on ? », s’en ajoutent immédiatement d’autres : « Que croit-on savoir ? », « Qu’en dit-on ? » et « Que veut-on ? » (Lévy, 2008). Comment, dans ces conditions, le politique peut-il affirmer son rôle de décideur quand les critères habituels de la décision se dérobent ? Comment afficher de manière ostensible sa prise en charge politique d’un problème que les sondages ne cessent de présenter comme important pour la population ? Ou encore, comment organise-t-il son rapport au temps, car quel horizon temporel doit-il prendre en considération ? Doit-il valoriser une attitude de prudence afin de n’exclure aucune éventualité ?

5Enfin, comment traduire en décisions ce qui reste pour le moment trop souvent encore un exercice de communication politique plutôt bien mené ? Le politique doit-il alors se limiter à observer ou doit-il intervenir, et si oui, comment ? La question du réchauffement climatique est-elle d’ailleurs un problème politique ? Telles sont les questions qui vont nous occuper dans ce chapitre. En définitive, la question climatique serait une opportunité nous permettant de mieux comprendre en quoi les questions de nature se situent au cœur des enjeux de société.

1. Du champ de l’expertise à la prise de décision politique

  • 2 Rapport N° DPAE/2008/31
  • 3 Le texte du discours figure en annexe.
  • 4 Lionel Charles, Fractal Hervé Le Treut In Courrier de la Planète, Science et politique.| De la rech (...)

6« Le dérèglement climatique et ses impacts, ainsi que l’épuisement à venir des ressources fossiles, sont une réalité incontestable et un enjeu fondateur pour l’action publique au XXIe siècle ». On pouvait lire cette affirmation dans un projet de délibération du Conseil Général du Nord (2008)2 en vue de la participation de ce dernier à la mise en place d’un Plan Climat Énergie et de la signature d’une charte de coopération. Le Président Sarkozy déclarait lui-même en clôture du Grenelle de l’Environnement : « Le Grenelle a été un formidable révélateur. Les Français attendent une grande ambition écologique. Alors bien sûr, il y a des suspicions. Mais le principal défi, il n’est plus de convaincre. Le principal défi, il est de décider »3. A travers la problématique du changement climatique, c’est bien la question du rôle de l’État qui est posée et de ses modalités d’action. Plus globalement, c’est l’engagement collectif, c’est-à-dire une question qui s’inscrit dans aucune logique déjà tracée mais qui « implique un décalage, une bifurcation, une révision des modes d’action, à travers une prise en compte progressive de critères nouveaux » (Charles et Le Treut, 2009, p. 294). Toute la discussion devrait porter sur le mode même de la conduite collective et des valeurs censées l’animer suite à l’expertise collective sans précédent dont a bénéficié cette question.

7Les évolutions de la libéralisation et de la mondialisation, ainsi que la nécessité d'intégrer de nouveaux critères (devoir de transparence, impact environnemental des décisions prises et objectifs sociaux), ont profondément fait évoluer le cadre tant national qu'international dans lequel se définit et se met en œuvre la politique de l’environnement en France. Dès lors, l'État est conduit à repenser les conditions de son intervention. Comme pour tous les grands choix de société, le discours sur l'État n'est pas exempt d'une certaine schizophrénie : « trop d'État », avancent les uns, « que fait l'État ? », répondent les autres. Si ces débats peuvent refléter des enjeux spécifiquement environnementaux, le sujet soulève néanmoins des problématiques constantes de l'action publique-tels la gestion des risques et l’application du principe de précaution, la définition du contenu du service public ou encore l'avenir des entreprises publiques. Dès lors, il nous est apparu indispensable, au seuil de notre chapitre, de partir des « fondamentaux » et d'identifier les enjeux actuels qui légitiment l'intervention de l'État. La question « l'intervention » de l'État est-elle légitime ?

8La redéfinition des compétences et des missions de l'État passe ainsi par la nécessité d'intégrer l'émergence de nouveaux acteurs. Qu'il s'agisse de l'échelon européen, nouvel acteur dont le pouvoir d'initiative demande, toutefois, à être juridiquement mieux encadré, ou qu'il s'agisse des collectivités locales, dont le degré optimal d'intervention peine encore à être redéfini, la subsidiarité apparaît, désormais, comme une donnée incontournable de la politique environnementale. Par ailleurs, les deux premiers éléments du triptyque classique : régalien, tutelle et régulation, fondant jusqu'alors l'intervention de l'État, sont perçus, par certains, comme étant condamnés, soit à se restreindre fortement, soit à disparaître totalement à moyen terme, au profit de la seule mission de régulation appréhendée comme symbole du désengagement de l'État.

9Mais si, pour l'État, la rénovation de ce cadre classique d'intervention justifie son maintien, les enjeux spécifiques liés à l'environnement l'obligent dorénavant à intégrer la gestion du long terme. Cela implique, pour lui, dès lors, d'agir autrement. Comme l’ont écrit Lionel Charles et Hervé le Treut (2009, p. 28) : « on se trouve dans une situation dans laquelle il est vain d’attendre une solution d’une autorité extérieure et indépendante à quelque niveau que ce soit (un hypothétique gouvernement mondial, la Science, la Technique, etc.) alors que chacune des formes d’autorité en cause ne peut traiter qu’une partie du problème. C’est à l’ensemble des populations, des sociétés, des États concernés qu’il appartient de trouver, de façon immanente, les cheminements adaptés. C’est donc probablement du côté des dynamiques collectives que le changement climatique nous confronte aux questions les plus nombreuses et les plus difficiles ».

10L'ensemble de ces évolutions conduit nécessairement à devoir adapter les administrations en charge de ces questions. Sur le fond, enfin, le succès de la démarche passe par la double nécessité, d'une part, de dépasser le stade de la prospective pour établir véritablement une stratégie nationale de moyen et long terme et, d'autre part, de promouvoir la transparence des choix environnementaux (par l'information et la sensibilisation des citoyens aux enjeux et par la mise en place d'un débat démocratique, notamment sur les grandes questions et les choix de société). La décision publique suppose, en l'occurrence, un effort permanent de hiérarchisation des enjeux et des objectifs.

1.1. La « politique de l’environnement » : une sédimentation d’enjeux successifs

11La conscience des enjeux sociétaux des politiques environnementales a une incidence sur la définition des niveaux d’intervention et de décision. Longtemps, la politique française de l’environnement a été essentiellement réactive et déterminée par l’urgence privilégiant les actions ayant un bon rapport coût-efficacité à court terme et fortement surdéterminée par la conjoncture économique. Elle a été conçue et institutionnalisée plutôt comme une réponse technique et conjoncturelle à un problème politique qu’en qualité de véritable choix politique.

12Ces dernières années, le traitement institutionnel des questions environnementales a pris une importance croissante liée à la mise en scène généralisée de l’environnement renforcée par le jeu des sondages, dont la production sur ce thème s’est fortement accélérée. Ce flux médiatique donne une importance accrue à ce thème et aux nuisances imputées aux activités humaines, à la perception des dégradations qui touchent les milieux naturels, aux menaces qui pèsent sur les équilibres écologiques et, bien évidemment, à la question du changement climatique. Ainsi, la plus grande visibilité des problèmes d’environnement peut en définitive offrir un cadre de justifications permettant de (re)légitimer l’intervention étatique dans ce domaine.

13Pourtant, l’insertion progressive des questions environnementales dans l’espace politique, depuis la création en 1971 d’une structure interministérielle affectée à la prise en charge de ces questions, n’allait pas de soi, pas plus qu’une prise en charge de cette problématique par les autorités publiques de l’époque. Jusqu’au tournant des années 1980 et 1990, une nouvelle évolution est acquise, marquée par un certain ancrage au sein de l’État de ces catégories de problèmes, jusqu’à ces dernières années où les questions environnementales reviennent après une période d’inertie sur le devant des scènes publiques et médiatiques françaises et internationales. Qui pourrait nier aujourd’hui la popularité de la défense de l’environnement ? La préoccupation que citoyens et pouvoirs publics manifestent aujourd’hui pour l’environnement, sur le plan local comme sur le plan international, traduit la prise de conscience certes tardive mais réelle, alors même que les premiers cris d’alarme ont été poussés, au moins dès les années 1970. En parallèle à cette montée en puissance des questions environnementales, un certain nombre de concepts ont surgi et occupent une place importante dans le débat public : développement durable, biodiversité, principe de précaution, énergie renouvelable etc. Ils sont le signe d’une réalité nouvelle qui se donnerait à penser et à traiter, en lien avec des problématiques. Le politique est donc progressivement amené à se positionner face à la montée diffuse d’un ensemble d’exigences, lesquelles mettent en question sa capacité à traiter les problèmes dans ce domaine. Le poids acquis par ces problématiques donne un intérêt à la compréhension des processus par lesquels les autorités politiques et administratives appréhendent ces questions tout en organisant leur traitement.

  • 5 Barraqué B., Theys J., 1998 : Les politiques d’environnement. Evaluation de la première génération  (...)
  • 6 Rumpala (Yannick), Questions écologiques, réponses économiques. Les changements dans la régulation (...)
  • 7 Sur l’institutionnalisation de l’environnement, Charvolin F., 1994, l’invention de l’Environnement (...)

14Les politiques d’environnement font figure d’objet récent et il est parfois difficile d’en stabiliser les contours. Aussi, il s’agit d’un champ d’intervention qui apparaît moins structuré que d’autres (Barraqué, Theys, 19985). Yannick Rumpala6 démontre dans sa thèse que « cette catégorisation d’activités publiques sous le terme d’environnement est en fait à relier au développement d’institutions gouvernementales relativement spécialisées depuis le début des années 1970, et notamment en France depuis la création du ministère de l’Environnement en 1971 ». De même, les travaux de Florian Charvolin (1994)7 ont souligné que l’appareil institutionnel mis en place a pu s’appuyer sur tout un travail préalable de construction d’un domaine d’intervention. Mais cette institutionnalisation de l’environnement a été corsetée dans une dimension technique, car l’intervention publique décousue dans ce secteur a permis aux administrations anciennes de s’investir, au motif que leur savoir faire technique les qualifiait mieux que d’autres pour prendre en charge ces questions. Elles ont eu tendance à restreindre le champ de l’environnement aux domaines qu’elles occupaient déjà fortement. Aussi, les structures cognitives des acteurs centraux étant façonnées par une représentation essentiellement technicienne de l’environnement en font une « institution technocratique », loin de toute considération sociale, d’autant que les mouvements sociaux en faveur de la défense de l’environnement sont encore faibles à cette époque et très fortement influencés par la logique scientifique dans leur rapport à la nature et non à l’environnement. La politique de l’environnement a été d’abord une politique d’État.

  • 8 Lascoumes P., 1994, L’éco pouvoir, édition de la Découverte.

15Conçue à l’origine davantage comme une administration de mission (Lascoumes, 1994), sorte de laboratoire d'idées et d'expertises, le ministère de l’environnement est une petite structure dans le dispositif gouvernemental français dont le rôle et les domaines d'intervention n'ont cependant cessé de s'élargir. Pour autant, les interventions publiques dans le domaine environnemental ne peuvent être assimilées à des orientations univoques, car comme le rappelle Pierre Lascoumes il ne s’agit pas de véritables politiques sectorielles, « mais plutôt de dimensions internes à d’autres politiques sectorielles » (1994, 15)8 qui expriment donc des ajustements, des compromis, entre des intérêts et des objectifs le plus souvent hétérogènes (Lascoumes, 1994, p. 18-21). Ce que Florian Charvolin nomme du « bricolage intelligent ». Les questions d’environnement ne sont d’ailleurs pas seulement traitées par le ministère de l’Environnement mais par un ensemble d’autres ministères dont la gestion englobe des problèmes environnementaux. Une telle imbrication ne peut pas être sans conséquences sur la façon dont le ministère est amené à conduire ses politiques. Par ailleurs, ce ministère a une tendance à raisonner en terme de réglementation « plutôt qu’en terme d’accompagnement, d’incitation ou de suggestion » (Jodelet et Scipion, 1998, p. 51).

16De même, il convient de rappeler que l’environnement est un domaine composite, que les thèmes « rentrant dans cette catégorie peuvent renvoyer à des processus de mise sur agenda différents » (Rumpala, 2003, p. 47), renvoyant à différents degrés de pression. Les questions mises en avant dans l’espace politique dépendent pour une part du climat sociopolitique et de la perception que les responsables publics peuvent avoir des préoccupations présentes dans les grands courants sociaux. L’environnent se présente donc comme un enjeu fluctuant, dans lequel les éléments contextuels tiennent une place prépondérante. Ces enjeux varient en fonction de la conjoncture plus ou moins favorable tout en trouvant des ancrages dans l’espace de discussion institutionnel et les processus qui améliorent leurs positions sur l’agenda décisionnel. La crise économique a conduit par exemple les gouvernements à privilégier les mesures les plus efficaces à court terme et à différer le traitement de problèmes moins visibles ou à long terme.

17Ainsi, progressivement, la conceptualisation de l’environnement s’affirme dans le système politico-administratif et conduit à une réorganisation des cadres de référence qui sous-tendent les décisions : les approches segmentées tendent à être écartées au profit d’un monde globalisant et intersectoriel d’élaboration des décisions publiques. C’est l’orientation choisie, notamment dans le Plan National pour l’Environnement en 1990 et les efforts de promotion qui l’accompagnent. L’environnement, dans ses différentes dimensions, tend alors à faire figure de composante indispensable à la marche de la société. De fait, les problèmes d’environnement deviennent des problèmes complexes en interconnexion et à d’autres échelles qui obligent à prendre en compte les interactions entre des facteurs multiples, longtemps négligés, la pluralité des acteurs ayant des objectifs contradictoires.

18Ce sont aussi l’audience de ces questions sur la scène internationale et les initiatives à ce niveau qui obligent le repositionnement national et imposent un réajustement du regard collectif, même s’il a fallu attendre 1984 pour que soit créée au sein du ministère de l’Environnement une cellule chargée des affaires internationales et, comme l’explique Jacques Theys, ce n’est qu’au milieu des années quatre–vingts que s’est opérée une prise de conscience claire des impacts et des enjeux croissants de la réglementation européenne, à l’occasion notamment du débat sur la voiture propre (Scarwell, 2007).

19Enfin, il faut rappeler que les repositionnements des enjeux environnementaux se font aussi par rapport à ce que les pouvoirs publics perçoivent et interprètent comme une demande sociale qui s’exprime sous une forme électorale, associative, médiatique. Certaines nuisances sont assimilées à des catastrophes écologiques et trouvent au sein de l’opinion des relais de plus en plus larges d’autant qu’ils se prêtent à une amplification médiatique. L’importance du vote écologique ouvre aussi une opportunité de redonner une légitimité nouvelle à la politique de l’environnement et de la refonder sur d’autres bases. Les prises de position institutionnelles témoignent d’une réévaluation des problèmes et d’une reconnaissance des implications potentielles. Toutefois, la prise en compte des contraintes écologiques dans l’activité publique laisse transparaître une soumission à des impératifs d’ordre économique, lesquels balisent le champ du possible et canalisent l’exploration de solutions. L’environnement n’a ainsi acquis de visibilité sociale et n’à « émergé comme nouvelle question sociale, n’a été construit en tant que problème, qu’à partir du moment où des groupements privés, puis les pouvoirs publics en ont fait un objectif pour leurs revendications et leurs interventions » (Lascoumes, 1994, p. 13). Ce qui implique, comme le souligne P. Lascoumes, non seulement une représentation particulière des rapports homme–nature mais aussi une transformation de ce rapport – « la première servant de support et de référent au second » (p.14). C’est donc l’action collective, privée comme publique, qui a construit l’environnement comme problème, d’où le caractère hybride des politiques environnementales. La légitimité de l’État à intervenir dans ce secteur n’est pas assurée et a longtemps été laissée aux seules régulations de la société civile. Fondamentalement, l’environnement est le domaine privilégié d’une action « fonctionnant en réseau » avec des responsabilités enchevêtrées.

  • 9 Horizontal cherche sa verticale : du DRAE à la DIREN : étude de la réforme de l'administration terr (...)

20Ces politiques ont également souffert de leur faible capacité à maîtriser la mise en œuvre de ces objectifs à l’échelle locale. Or la dimension territoriale est une donnée essentielle de l’efficacité des politiques publiques. Comme l’ont dit Lascoumes et Le Bourhis et Doussan9, à l’occasion de la création des DIREN mais leur propos est toujours d’actualité : « l’objet d’une action publique n’est que rarement fermé, ou préconstitué. Il est sans cesse en voie de constitution dans une double dynamique, celle des interactions territoriales et celle des interactions hiérarchiques (…). La substance des objectifs poursuivis tout autant que les méthodologies d’action sont l’objet de réflexions et d’ajustements permanents (…)il n’y a donc pas de mise en œuvre mécanique d’une politique ou de programmes prédestinés au plan national dont les services déconcentrés et leurs partenaires locaux seraient les simples exécutants (…) On retrouve dans le domaine de l’environnement les traits qui marquent de façon croissante l’action publique contemporaine : des enjeux ouverts, dont la (re)définition constante est une des modalités de base de l’action publique : des territoires d’action entremêlés, dont les niveaux se recomposent selon les enjeux mais aussi selon les configurations locales ; des instances de pouvoir hybrides, selon les réseaux d’acteurs constitués par les enjeux, et où les représentants de l’État ne sont pas les acteurs systématiquement dominants. L’action publique a de moins en moins de propriétaires uniques, tout à la fois concepteurs et opérateurs exclusifs. Elle repose au contraire sur un ensemble de mobilisations externes autant qu’internes… ».

21Ces politiques sont complexes, car à la rétroaction des conséquences sur les causes s’ajoutent l’incertitude du futur. Tout cela nous éloigne donc de la décision classique, laquelle repose sur « la rationalité instrumentale, sur l’indépendance entre sujet et objet, et sur la possibilité de séparer clairement anticipation, décision et action » (Theys, 1998).

22Par ailleurs, ces politiques publiques environnementales s’inscrivent dans des formes juridiques que sont les instruments normatifs à l’exemple des taxes mais aussi les instruments économiques incitatifs. Mais sous la poussée de la mondialisation et de la globalisation de l’économie, l’État a perdu progressivement son rôle de monopole dans la production normative au profit d’institutions pluri-étatiques ou supra-étatiques. Alors, de nouveaux modes d’action plus souples complètent les lois ou leur succèdent pour coller davantage à la réalité sociale mouvante et complexe. L’État a donc dû délaisser la contrainte au profit d’une normativité souple et décentralisée, connue sous le nom de régulation. L’État tend à devenir moins directement producteur et davantage régulateur (même s'il a été et reste les deux), moins substantiel et davantage procédural, moins central dans le processus de construction de l'ordre social et politique. « Ministère producteur, il est exposé à la tendance générale de réduction de l'intervention directe de l'Etat dans l'économie. Ministère régulateur, il est de plus en plus amené à négocier avec des partenaires eux-mêmes de plus en plus nombreux le contenu des règles et les conditions de leur application. Ministère à la fois producteur et régulateur, enfin, il peut être aisément suspecté d'être le lieu de conflits d'intérêts et de confusion des rôles » (Jodelet, Scipion, 1998). Enfin, la question du changement climatique oblige l’action ministérielle à changer d’échelle temporelle et spatiale : plus d’intervention immédiate mais une vision prospective, fondée sur la science ; une action de protection et de prévention, et non de gestion. Par ailleurs, son rayon d’action, lié à son rôle prospectif, se déplace du local au continental et au planétaire. En ce sens, et au regard de ses nouvelles attributions, l’action de l’État se situe un peu en dehors de l’espace et du temps où s’opère la gestion effective. La question du rôle de l’État s’invite dans le débat. Aussi, les transformations récentes de l’action publique en matière d’environnement dans un contexte de libéralisation de l’économie et de mise en crise des politiques traditionnelles d’intervention de l’État, ont permis la redéfinition du champ de l’environnement. Au tournant du XXIe siècle, un certain nombre de questions doivent être posées. Ainsi la politique de protection de l'environnement doit-elle être essentiellement interventionniste ou libérale ? Face à la problématique du changement climatique, de quels moyens juridiques et financiers l’État dispose-t-il ? Autrement dit, comment traduire en pratique les recommandations des scientifiques surtout quand les caisses sont vides ? Quel doit être le rôle de la réglementation ? En effet, l'emploi exclusif de méthodes réglementaires suppose qu'une autorité centrale connaisse les besoins et les actions de tous à l'égard de l'environnement, et sache établir et faire appliquer d'une manière rigoureuse des règles parfaites. C'est impossible et cela n'a jamais fonctionné.

23Face au changement climatique, l’État souhaite jouer un rôle clef. En pratique, n’est-il pas finalement condamné à formuler des recommandations, à communiquer sur ce sujet, ou n’est-il pas invité, dans un même mouvement, à se réformer lui-même et à s’appuyer sur des entreprises et des citoyens davantage responsables ?

1.2. Le climat : objet de science ou objet de communication politique ?

  • 10 Février 2005
  • 11 Discours de M. Jacques Chirac Président de la République devant l'assemblée plénière du Sommet Mond (...)

24Mais bien que tout le monde ait entendu parler du réchauffement climatique, il a fallu attendre qu’entre en vigueur le protocole de Kyoto10 pour que les politiques s’engagent au-delà des effets d’annonce dans la réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre). De même, si le Grenelle de l’environnement a souligné l’avancement dans la lutte contre les dégradations de l’environnement en désignant « la maison qui brûle »11 et en montrant l’extincteur, il reste encore à s’en saisir ! De nombreuses questions demeurent en suspens car elles impliquent d’abord d’adapter les modes de mise en débat des politiques publiques : comment les décider, les mettre en œuvre, les évaluer et/ou les réajuster ? D’ailleurs, pourquoi faudrait-il envisager une mise en débat de certaines politiques avant leur mise en politique ? S’agit-il d’un simple processus d’intéressement visant à réduire les éventuels controverses politiques ou contestations ou s’agit-il au contraire d’inscrire les décisions dans une démarche de recherche et de production de connaissances en raison de l’incertitude qui entoure la question traitée par le politique et la nécessaire investigation interdisciplinaire ?

  • 12 Tous les rapports de synthèse sont disponibles sur le site : http://www.legrenelle-environnement.fr
  • 13 Propos de François Brottes, député de l’Isère mandaté par l’AMF pour participer aux ateliers du gro (...)

25Et au-delà, ne conviendrait-il pas de mettre en cohérence l’ensemble des interventions des pouvoirs publics sur les territoires, celles de l’État et de chaque niveau de collectivité territoriale ? Ceci étant, alors même que les débats du Grenelle sont clos, et que l’on pourrait se féliciter à la fois de la qualité de nombreuses propositions émises12, du travail fourni par les divers participants et même de l’unanimité faite autour de la nécessité d’agir pour l’environnement, le temps des élus doit succéder « au temps de la réflexion » sauf à prendre le risque de voir « la montagne accoucher d’une souris »13. Il est intéressant de constater que les élus revendiquent pour eux-mêmes cette phase : celle du passage d’une question en apparence technique en un problème politique. L’issue de cette phase se présente ainsi comme la traduction politique d’un problème technique – confiné un temps, celui où le problème est appréhendé de façon floue, dans certaines sphères autres que politiques, entre de multiples contraintes s’imposant au détriment du pouvoir de décision des responsables politiques avant son rapatriement par les élus dans la sphère politique (Habermas, 1973). Fait significatif à cet égard, la tenue du Grenelle de l’environnement (lancé officiellement le 6 juillet 2007 et achevé fin octobre 2007) témoigne de la reconnaissance de l’enjeu écologique par l’Etat et peut-être de la volonté d’afficher un changement de mode de gouvernement notamment en ce qui concerne la transparence du processus de décision qui ne relèverait plus de la seule compétence des experts (Jobert, 1992) ou qui s’illustrerait par l’atrophie des réseaux d’expertise. Désormais, la question du changement climatique constitue un problème de société pouvant donner lieu à l’édiction de normes (Scarwell, 1999) basées, il faut l’admettre, sur des connaissances scientifiques non stabilisées. Autant de facteurs qui justifient notamment la couverture médiatique intensive dont fait l’objet cette question, voire la tentation de spectacle face aux désarrois du politique.

  • 14 Max Weber dans Le Savant et le Politique (1919) : « Le pouvoir politique, c'est le monopole de la v (...)
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  • 17 Il faut comprendre : faire de l’écologie sans remettre en cause le système économique actuel. Voulo (...)
  • 18 Gilbert (Claude), Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et politiques, Paris, L’Harmattan, (...)
  • 19 Cf notre réponse au programme RDT 2 (Risque Décision Territoire) du MEEDAT : Quel appui scientifiqu (...)

26Seulement voilà, ceci n’explique pas pourquoi la thématique du changement climatique n’est pas demeurée « captive » ou plus justement prise en charge exclusivement par ceux qui se présentent encore parfois comme ses légitimes expert ? Si cette inversion de logique apparaît comme une modification purement formelle, il n’en reste pas moins qu’elle indique bien le sens qu’entendent donner certains experts à son traitement – et à la clôture d’un débat que l’on ne veut pas politique afin de conserver la concentration du pouvoir entre les mains « d’une élite dirigeante » par le recours au monopole de l’expertise. Comme si au monopole de la violence légitime (Weber, 1919)14 correspondait le monopole de l’expertise légitime ! Notons également qu’au cumul de l’expertise s’est ajouté longtemps le monopole du contrôle et de l’évaluation. Dans ces conditions, on frôle l’abus de langage en parlant de contrôle, d’expertise ou d’évaluation pour désigner l’action publique. Au-delà de ces remarques, la question du changement climatique et de ses implications dans la vie quotidienne renvoie à des interrogations plus générales sur la capacité de l’État à se saisir d’un problème, à gouverner l’incertitude ou encore à reformuler des enjeux essentiels aptes à produire de réels changements. Car, si une idée est au cœur des réflexions du débat politique, c’est bien celle de l’urgence à agir face à ce que certains appellent la fatalité des faits. L’hypothèse scientifique dont certains parlaient en 1995 s’est muée au niveau mondial en réalité scientifiquement admise et par delà des incertitudes réelles, plusieurs éléments peuvent être avancés comme l’augmentation des températures15 ou des changements dans l’activité du soleil. A travers la thématique très large du changement climatique et de sa mise en politique, nous voudrions mettre en relief les logiques d’intervention de l’action publique laquelle a pu autrefois apparaître comme ambivalente, car liée aux stratégies de légitimation16 du ministère de l’environnement (Martin-Place, 2000). Aujourd’hui, il s’agit de tout autre chose. Comme l’énonce Jean-Louis Borloo, l’Etat serait sommé par les citoyens d’agir « au plus prés des réalités quotidiennes », mentionnant « le quartier, la ville ou l’agglomération par exemple » (Gazette des Communes, 8 octobre 2007) et de prendre des décisions sans qu’elles aient pour autant à produire des ruptures mais des inflexions17 ou à tout le moins « d’inventer collectivement les conditions d’une nouvelle croissance compatible avec les limites d’un monde fini » (Voix Du Nord, 14 juillet 2007). Certes, c’est la crédibilité des décideurs qui se joue là et les incite à « créer une économie de l’alternative permettant de passer de l’ère du jetable à l’ère du durable » (déclaration de Jean-Louis Borloo, (Régions magazine, septembre 2007, p. 6) alors même que des incertitudes demeurent. Cependant, on voit bien que la prise en compte de l’environnement pousse à une re-régulation de nos sociétés, autrement dit, comme l’a souligné Claude Gilbert dans « Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et politique », les décideurs politiques sont tenus à « donner la preuve de leur capacité à exercer leur pouvoir, puisque c’est là un des fondements même de leur légitimité »18 (1992, p. 15). Or, dans des situations d’urgence, les actions sont d’autant plus fragilisées qu’elles s’appuient sur des savoirs non stabilisés. Si bien que le recours plus systématique à l’évaluation des politiques publiques constitue une solution a minima qui pose d’emblée la question des moyens et des résultats comme sujet de débat public au regard de critères tant scientifiques que de critères dits d’« acceptabilité sociale »19. Bien que l’évaluation soit une démarche d’analyse et de questionnement, pour autant, on ne peut postuler a priori qu’il s’agisse d’une activité homogène et pratiquée avec les mêmes référentiels. Le débat démocratique s’organise alors sur la confrontation d’idées portées par des citoyens mais, dans un tel cadre, personne ne peut prétendre avoir définitivement le dernier mot car, d’une part, il y a toujours de nouveaux citoyens et, d’autre part, un débat ancien peut toujours être ouvert à nouveau. En outre, des débats subsistent tant sur la définition de l’évaluation que sur sa finalité et les méthodologies qui la spécifient. Ceci étant, elle s’applique à toute forme de l’action publique et concerne à la fois des programmes, des organismes ou des procédures.

  • 20 Cf. http://www.erm.lu/fmi/reg_mag/rm83/rm83_06.htm, Régions Magazine, 2007
  • 21 Cf. Scarwell Helga-Jane, Roussel Isabelle, 2006 : Les démarches locales de développement durable à (...)

27Mais comment avoir prise sur le futur ? Il ne suffit pas d’affirmer que : « les Français ont désormais clairement conscience des urgences environnementales. Ils se sont interrogés sur les caprices de la météo et plus » (Jean-Louis Borloo, 2007)20. A cet effet, la concertation engagée pourrait-être un moment de vérité pour identifier les ruptures face aux grands défis environnementaux. Mais comment ne pas reproduire les errements de la stratégie nationale de développement durable, plusieurs fois annoncée, remaniée, sous dotée et qui sera réactivée prochainement21 ?

1.3. L’ambiguïté entre la politisation de la science et la scientification du politique : du discours politique au discours expert

  • 22 Biocarburants : les temps changent ! Effet d'annonce ou réelle avancée ? PU du Septentrion
  • 23 Kourilsky P, Viney G., 2000, Le principe de précaution, Edition Odile Jacob, 406 p.

28L’espace public enregistre un nombre croissant de controverses, liées notamment aux risques environnementaux, alimentaires ou, comme nous l’avons déjà démontré dans notre ouvrage sur les biocarburants22, à l’introduction des biotechnologies. De fait, l’approche dite de « précaution »23 qui n’est pas exclusivement applicable aux questions d’environnement a entraîné de profondes transformations au sein de la société du risque et notamment la mise en place de dispositifs dits de « gouvernance des risques » et le recours accru à l’expertise scientifique. Le principe de précaution a fait l’objet, tant au plan national qu’international, d’une intense activité législative et réglementaire et s’impose désormais aux pouvoirs publics qui doivent faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre États.

29La gestion des risques, comme l’ont montré des auteurs comme Callon et al. (2001) ou Barthe à propos des déchets nucléaires (2006) a révélé les « débordements » de la technoscience au sein de la société (Leresche, 2005). Les controverses publiques en résultant ont mis en question le monopole de l’expertise scientifique et technique tant sur la définition des risques que sur les procédures habituelles de mise en risque (Ewald, 1996, Gilbert, 2003). La question du changement climatique en raison des controverses qu’elle a générées a mis en évidence les usages et les limites de l’expertise dans un double contexte de redéfinition des relations entre science et société, d’une part, et entre expertise et politique, d’autre part (Rip, Misa, Schot, 1995 ; Roqueplo 1997, Callon et al. 2001). Face à la question des incertitudes et des controverses, de nouvelles formes de négociation sont apparues, qui pourraient apparaître comme une variable de la régulation des rapports entre expertise et société ou comme des dispositifs visant à la « gouvernance des risques ». Ces dispositifs aideraient-ils à répondre à la difficulté qu’ont les institutions politiques à produire des décisions en contexte d’incertitude scientifique et de controverses relatives au changement technologique (Godart et al. 2002) ?

30Notre propos vise à aborder succinctement, car ce n’est pas l’objet de ce chapitre, la question de la place de l’expertise dans l’espace public entre une approche traditionnelle partant d’une vision « confinée », dont « les fonctions seraient de conseiller et de légitimer des décisions » (Leresche, 2005), qui renverrait à un modèle « gouvernemental classique, parfois technocratique » (Kazancigil, 1998, Leresche, 2001) et une vision pluraliste de l’expertise qui verrait « les acteurs et les procédures d’évaluation, et dans laquelle, l’évaluation « objective » des risques ne serait plus considérée séparée d’une évaluation sociale ou éthique » (Lash, Szerszynski, Wynne, 1996). Ces nouveaux modes de coordination ou de participation entre différents types d’acteurs, non nécessairement publics, ne seraient-ils pas autant de symptômes des transformations à l’œuvre entre expertise, politique et société, complémentaires ou concurrents des institutions de la démocratie représentative ?

31En appelant la communauté internationale à se saisir de la question du réchauffement climatique, le GIEC a mobilisé la communauté des experts dont le rôle a été déterminant et indispensable dans la prise en compte par le politique de la gravité du problème. Compte tenu également des préoccupations pour l’environnement au sein de la population, la question du climat est certes emblématique, mais elle a aussi justifié la mise à l’agenda politique. Pour autant, la question de la place de la société civile dans la production d’expertise est essentielle car si on est loin de l’idéal rationnel wébérien considérant l’intervention des comités d’experts comme un outil majeur de rationalisation de l’action publique, l’activité d’expertise est d’autant plus problématique qu’elle se développe à partir de savoirs incertains. Les experts ont-ils, comme le suggère Roqueplo (1996), d’autres choix que de « transgresser les limites de leurs propres savoirs » ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que le politique a cherché à travers le Grenelle de l’Environnement à redéfinir les termes de la régulation par un discours sur la transparence des processus mis en œuvre et a surtout cherché à communiquer par la publicité donnée à cette transgression.

32De façon plus générale, les questionnements tournent autour de la place de la science dans la sphère publique et en particulier sur les possibilités de participation des citoyens. Ces questionnements sont nombreux et butent toujours sur la séparation entre faits et valeurs, entre science et politique. Ainsi, les travaux de Weinberg proposent la notion de trans-science en 1972 pour caractériser la « zone grise » entre science et politique, où pourrait jouer la participation du public (Weinberg, 1972). Cependant, la notion de trans-science est utilisée par Weinberg pour renforcer la séparation entre la science - à confier aux seuls experts - et les domaines susceptibles de faire l’objet d’une discussion politique. Faut-il pour autant faire trancher par un groupe d’experts des questions en apparence techniques ou, comme le suggère le livre de Richard Sclove (1995), faut-il considérer que la politique scientifique doit pouvoir faire l’objet de choix démocratiques, dans la mesure où les choix techniques et les choix sociaux sont intimement liés ? Cette approche de la science dans l’espace public remettrait en cause la séparation faits/valeurs et montrerait la capacité des non experts à intervenir dans leur co-construction.

33De même, dans son ouvrage, « Sciences et pouvoirs » Isabelle Stengers, nous rappelle que les discours de ceux qui nous gouvernent n’hésitent pas à abuser d’expressions comme « il est prouvé que … » « Du point de vue scientifique … », « Objectivement, les faits montrent que », comme si les seuls arguments d’autorité quant à ce qui serait possible et ce qui ne le serait pas provenaient de la science. La science ne serait plus : « celle d’un savoir neutre et « objectif », chargé de dissiper les préjugés en dévoilant la vérité » (Stengers, 1997). Or, depuis, les travaux de Thomas Kuhn (1970) sur les révolutions scientifiques, la notion de science en tant que représentation objective de la réalité a été abandonnée. Les recherches de Brian Wynne (1996) ont démontré que les raisonnements scientifiques ne sont pas exempts de jugements de valeur. Il est alors légitime de penser qu’en situation d’expertise, ces remarques pourraient être amplifiées. Comme l’a signalé Roqueplo (1999, p. 62), il n’y a pas d’expertise sans interaction avec la décision : « l’expression d’une connaissance scientifique ne revêt donc valeur d’expertise que dans la mesure où elle s’articule à un processus décisionnel et c’est précisément cette articulation qui lui confère valeur d’expertise ». Aussi, comment la science et le politique s’imbriquent-ils, notamment à propos de la problématique du changement climatique et quelles en sont les implications ?

34Si les travaux scientifiques sur l’effet de serre remontent à plus de deux cents ans, les controverses n’en sont pas finies pour autant. Entre une vision « optimiste » et une vision plutôt « pessimiste », les débats demeurent souvent passionnés, ce qui peut troubler la réflexion (Durand, 2007), dérouter le politique et les citoyens.

35La compréhension du changement climatique s’est faite progressivement en liaison avec les progrès de l’informatique et la mise en place progressive de modèles numériques mettant en perspective l’avenir et dévoilant tout à la fois des logiques de négation, d’occultation ou de minimisation des problèmes. Un certain nombre d’experts s’accordent d’ailleurs, toutes disciplines confondues, à reconnaître que nous ne « disposons pas de moyens techniques sûrs pour limiter sérieusement les conséquences prévisibles du réchauffement climatique » (Durand, 2007, p. 96). Ils ont conscience des limites de leur domaine, et même quand ils tiennent pour acquises les connaissances passées de leur spécialité, il leur apparait clairement que la scrutation scientifique du monde est celle d'un puits sans fond, où chaque réponse apporte encore plus de questions. Pourtant, le politique utilise comme argument d’autorité l’argumentation scientifique et va jusqu’à orner son discours d'un nappage d'expertises pour justifier ses décisions. Ses arguments sont émaillés fréquemment d'une invocation à l'objectivité scientifique - arme bien utile à qui peut la manier, puisqu'on la suppose irréfutable.

  • 24 Maris Bernard, 2002, « Légitimation, autolégitimation, discours expert et discours savant », Scienc (...)
  • 25 Conter Bernard et al., 2008, « Ombres et lumières sur l’emploi et les salaires : le rôle des indica (...)
  • 26 Richard P., 1995, Le temps des citoyens. Pour une démocratie décentralisée, PUF

36Sous la pression du temps réel, le politique a tendance à favoriser le développement d’une société d'expertise. Or, la plupart des problèmes liés au changement climatique, présentés comme des données techno-scientifiques, sont en fait la plupart du temps des problèmes liés à un choix social. La « compétence » n'y relève pas seulement de ce type « d'expertise ». Nous constatons pourtant avec Roser Cusso une tendance « à une profonde homogénéisation du discours politique institutionnalisé » (Cusso, 2008), laquelle résulterait, pour partie, d’une circulation lexicale intense de lexèmes ou de mots à consonance « technique ». Ainsi, de nouveaux mots ou expressions sont créés régulièrement par le monde politique pour répondre aux questions de l’heure et traduisent un changement dans l’exercice même du pouvoir politique voire un déplacement de la production du lieu central des programmes politiques et des discours matriciels de référence, de la sphère nationale vers des sphères technocratiques, peu soumises au débat contradictoire. De fait, les choix politiques ne sont plus présentés comme un discours politisé et partisan, mais comme un discours neutre. Le discours politique devient discours d’expert. Il traduit en fait l’accès de certains acteurs à la sphère politique et à l’agenda, car une bonne part de leur légitimation repose précisément sur la capacité d’expertise qui leur est attribuée. Bernard Maris24 a fait à ce titre une utile distinction entre le discours savant qui construit sa légitimité par la confrontation et le débat scientifique entre pairs et le discours expert qui impose sa légitimité par la relation particulière qui s’est établie entre ces experts, les pouvoirs politiques et l’opinion publique. En effet, ce discours revêt « les oripeaux d’une apparente neutralité politique associant subtilement des codes de type technique – recours important, dans ces discours, à de nombreux indicateurs statistiques » (Cusso, 2008) comme éléments de preuve mais aussi comme objectifs politiques (Conter, 2008)25 tout en se présentant comme dépolitisés, via la neutralisation de mots qui semblent être « passe-partout », convaincants pour tous car compréhensibles a priori par tous. Si le discours expert tire, en effet, sa légitimité de sa grande capacité à pouvoir paraphraser le réel décrit par les experts, il est capable d’énoncer les problèmes – toujours graves – du siècle et d’énumérer les solutions pour y faire face. Ce discours qui décrypte et accompagne les mouvements présents et naturels des mutations sociétales invite à la réflexion sur les changements à l’œuvre dans les rapports entre politique et expertise. Ainsi, entre l’expert et le politique, les frontières se brouillent et les réformes présentées par le politique n’apparaissent plus comme des choix de société dont il faudrait débattre mais comme des impératifs techniques. De fait, un nouveau modèle de la régulation publique s’imposerait comme une illustration du nouveau modèle à promouvoir, où l’autorité publique deviendrait plus un « intermédiaire » parmi d’autres que le véritable décideur. Même si les experts scientifiques semblent parfois soucieux d’exercer une activité d’expertise plus distanciée des enjeux et des contraintes politiques, tandis que les acteurs politiques eux-mêmes affichent leur indépendance et leur rôle politique à proprement parler, en choisissant parfois de s’écarter publiquement de l’avis des experts. A ce titre, l’organisation du Grenelle de l’environnement autour de six groupes de travail composés, chacun, de quarante à soixante membres et répartis en cinq collèges (qui associent l’État, les collectivités locales, les ONG, les employeurs et les salariés) peut être interprétée comme une ouverture de l’expertise à un second cercle, le premier étant composé d’experts « techniques » traduisant une approche plus élitiste à qui le politique délègue la recherche de connaissance, les propositions de solutions techniques, le second cercle contribuant significativement à la discussion et pouvant mettre en évidence le caractère fragile et partial des énoncés scientifiques. Ainsi, faut-il en déduire que cette ouverture à d’autres acteurs réintroduirait des logiques plus politiques que scientifiques ? En définitive, cette ouverture semble redonner au politique le contrôle politique des « frontières », en ce sens que si la science est mandatée (Salter, 1988), son horizon temporel n’est pas en phase avec les logiques politiques de court terme. Le politique organise ainsi la confiance en brouillant les rôles au fil des contre-expertises scientifiques et en ouvrant le cercle des experts à d’autres, au nom de la démocratie participative, tout en tentant de s’exonérer de ses responsabilités. Or la délimitation des responsabilités est devenue aujourd’hui au sein de la société une obsession – que la délégation latente de la décision et de l’autorité aux experts ne peut remettre en cause. D’ailleurs, certains experts ne s’y trompent pas et préfèrent, comme cela est souligné ci-dessus, l’exercice de leur activité d’expertise à distance des enjeux et des contraintes politiques. Reste à savoir si on attend plus de l’État un rôle de régulation que d’intervention (Richard, 1995)26.

2. Quelles lectures du changement climatique ? De la dénégation à la contradiction

  • 27 Participation également l’année précédente sur la thématique des inégalités environnementales (sept (...)
  • 28 Une autre constante peut être évoquée et montre que la « rupture » est somme toute relative. En eff (...)

37Les 26 et 27 septembre 2007 se sont tenues à Lille, les « Universités d’été » de la prospective territoriale organisées par la DIACT (Délégation Interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires) sur le thème « Défis climatiques et énergétiques : les territoires à l’épreuve de la durabilité ». Pour avoir participé27 à cette manifestation tant en amont (participation au conseil scientifique et à l’élaboration du programme), qu’en aval (participation aux ateliers et communication lors de l’un des ateliers), il nous a semblé au contact des autres participants et des organisateurs que ce débat était communément admis et qu’il induisait pour tous une rupture « historique » dans le modèle de consommation comme dans le mode de vie28. Pourtant, au-delà de ces débats, ce colloque, comme celui de l’année précédente, s’est contenté de dresser une fois de plus un état des lieux des enjeux climatiques et énergétiques auxquels sont confrontés les territoires, en soulignant, une fois encore, les nouvelles inégalités entre territoires, entre groupes sociaux et la nécessité de mener des stratégies dans le cadre d’un débat participatif. Il s’agissait également de mettre en débat divers scénarios qui fondent les politiques territoriales actuelles (agenda 21, Plan climat, bilan carbone). Mais il est à bien des égards surprenant qu’aucune communication ne portait sur la nécessité de préparer l'économie post-pétrolière en investissant dans la reconversion écologique. Quoi qu’il en soit, ce qu’il est important de souligner, c’est que dans ce type de situation d’incertitude, le règlement des problèmes n’est plus confiné à la sphère scientifique mais se traduit par un retour du politique, du débat, de la négociation et du compromis dans des domaines qui fonctionnaient jusqu’alors en circuit fermé.

  • 29 « La modélisation constitue la seule façon de faire le lien entre les émissions de gaz à effet de s (...)
  • 30 Cf. Les Cahiers De Global Chance - N° 24 - Mars 2008
  • 31 Conférence des Parties

38Même si elles sont entachées d’incertitudes, ces prévisions offrent aux décideurs un cadre précieux pour envisager l’avenir et pour prendre dès maintenant des mesures qui permettront à terme de maîtriser l’augmentation de l’effet de serre29. In fine, ces universités ont joué, comme bien d’autres, un rôle d’accélérateur de prise de conscience et de mise en visibilité dans la prise en charge d’un problème par le Conseil Régional Nord-Pas de Calais, de la même façon que les résultats des études menées ont changé notre perception des risques encourus, plus spécifiquement par « une prise de conscience progressive de l’impact des activités humaines sur le climat aussi bien au niveau du grand public, des grands groupes industriels que de nombreux élus et responsables politiques. Cette prise de conscience est, je l’espère, un préalable à l’action » déclarait Jean Jouzel (Jouzel, octobre 2006). Car il faut désormais faire savoir que le « politique » et le « médiatique » ne sont plus les seuls dans cette prise de conscience et dans l’élaboration des propositions de solutions à la crise30. Désormais, les ONG, les syndicats, la communauté scientifique, l’ensemble des forces vives organisées de la société civile nationale ou mondiale, y sont pour beaucoup. D’ailleurs, leur présence au cœur des grands messes que sont les COP31 de la convention Climat se renforce à chaque nouvelle occasion. La question de savoir s’il fallait plutôt rester extérieur au débat dans une attitude d’attente, de critique, voire même de déni n’a plus de sens car un certain nombre de points d’accord entre les divers partenaires ont pu se dégager.

  • 32 Chantal Cans, 2003, « Développement durable en droit interne : apparence du droit et droit des appa (...)

39Désormais, on crée de la contradiction dans des endroits où le déni était de règle sur la question environnementale. Mais ne nous y trompons pas, la contradiction est savamment orchestrée et les questions environnementales sont englobées sous le label général du « développement durable, réduisant la spécificité environnementale au profit d’approches strictement délimitées » (Charles, 2008). La pénétration de cette notion dans les textes va croissant et déborde le champ strictement juridique. Elle est associée à des notions étrangères au droit de l'environnement. Elle induit une approche nébuleuse des réalités, voire des politiques qu'elle prétend régir. Le développement durable serait une sorte de « projet politique global » fondé sur une volonté (plus ou moins sincère) d'intégrer des contraintes non économiques dans le droit économique. Comme le souligne justement Chantal Cans, cela ne fait qu’« émoustiller le discours technocratique et donner un peu de lyrisme aux textes les plus ingrats » mais cela est d’autant plus regrettable « que le « développement durable » englobe bien plus que l'environnement et qu'apparaît une tendance à remplacer le terme « environnement » par les mots « développement durable », sans souci de désigner des choses identiques, qui d'ailleurs ne le sont pas » (Cans, 2003)32.

  • 33 Les points de consensus : globalement, les scientifiques s’accordent à reconnaître que les émission (...)
  • 34 Communication prononcée lors des journées NSS 2008, changements climatiques : l’adaptation a l’ordr (...)

40Ajouté à cela, le caractère imparfait des connaissances climatiques33 longtemps souligné pour justifier d’une certaine inertie, justifie aujourd’hui, une remise en cause des choix, du moins l’annonce de nouveaux choix supposés éclairés et l’apparition d’un discours sur l'innovation. D'où une interrogation à la fois sur la nature de l'innovation (accidentelle ou raisonnée) et sur le besoin auquel elle répond. Par ailleurs, comme le souligne Anne-Marie Moulin (200834), ne s’agit-il pas « de détourner notre attention des carences ou inconsistances de l’action gouvernementale et internationale, pour renvoyer les responsabilités aux citoyens eux-mêmes en les engageant à des modifications de comportements, parfois hâtivement recommandées » ?

  • 35 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/environnement_1042/evenements_5138/grenelle-env (...)

41Désormais, il faut agir car il y a assez de tendances avérées pour le faire, même si : « le climat reste complexe (comme l’atteste la quasi-impossibilité de prédire la météo à plus de 7 jours !) » (Sciama, 2005). Aussi, l’heure n’est ni à la saturation des imaginaires, ni à la science-fiction, qui apparaît aussi comme un lieu de construction d'imaginaires, d'inspiration rationnelle et scientifique. Le politique l’a bien compris, comme l’illustre cet extrait du discours prononcé à l’issue du Grenelle de l’environnement par Nicolas Sarkozy le 25 octobre 2007 : « C’est un succès que nous devons aux élus qui ont compris les exigences de la population… Et puis, bien sûr, c’est un succès, je veux lui rendre hommage, que nous devons à Jean-Louis Borloo, que je veux saluer tout particulièrement, à Nathalie Kosciusko-Morizet, à Dominique Bussereau et à toutes leurs équipes. Jean-Louis, tu as su relever le défi que je t'avais fixé. Je crois que l'on peut t'applaudir. Alors maintenant que c'est le succès de tout le monde, il revient au Premier Ministre et à moi de prendre les décisions »35. Le Président de la République semble nous dire ici que l’État reprend la main comme pour l’organisation du Grenelle de l’Environnement mais la question de sa marge de manœuvre est clairement posée car que peut-il faire pour agir sur les comportements individuels ?

  • 36 Propos de Yannick Glemarec, Coordinateur exécutif du Programme de Nations Unies pour le Développeme (...)

42Si la question relative à l’existence ou non du réchauffement du climat n’engendre plus ou peu de controverses médiatiques significatives, il reste à définir les actions à mener qui vont de la définition de mesures d’atténuation des causes anthropiques (essentiellement atténuation des émissions nettes de gaz à effet de serre, GES) à des mesures d’adoption (comment diminuer les dommages aux sociétés et individus à des coûts admissibles) ou encore à des mesures en rupture complète comme la réduction de 50 % des émissions de CO2 d'ici 2050 qui « nous engage dans une transformation de société car on a aucune chance avec les schémas de production, les instruments financiers et les partenariats actuels » (Yannick Glemarec)36.

  • 37 Réunion de Vienne du GIEC le 31 août 2007, Conférence internationale sur le climat des 27 et 28 sep (...)
  • 38 Rapport du GIEC de 1995
  • 39 Rapport du GIEC de 2001
  • 40 Barbara Boxer présidait (2007) la commission de l’environnement du Sénat américain
  • 41 Selon un sondage réalisé par Newsweek aux EU, 39 % des personnes interrogées déclarent que les clim (...)
  • 42 Consensus notamment sur la reconnaissance que le le climat est altéré par les GES – qui proviennent (...)
  • 43 Bali en 2007 et la conférence internationale de Poznań sur le changement climatique organisée sous (...)

43Certes, les réunions au sommet sur le climat se multiplient37, mais on est passé d’un réchauffement probable38 à un réchauffement inévitable39 tant pour la communauté scientifique que pour la sphère médiatique et politique. Autrement dit, de l’hypothèse théorique on est passé au stade de réalité. Il y a bien « évidemment des voix discordantes » ou, comme le souligne Barbara Boxer40, « des gens résolus qui n’avaient pas l’intention de renoncer » et qui mènent des campagnes savamment orchestrées et financées pour entretenir le doute à propos du changement climatique ou encore, des catastrophistes et prophètes de la fin du monde. Ceci étant, le réchauffement climatique en Europe41 et au Japon fait l’objet d’un large consensus42 et cela tend à prouver plus globalement que de larges alliances sont possibles face à l'urgence du réchauffement global et au renforcement des coopérations préparatoires43 au futur régime post-Kyoto.

2.1. Le temps des élus : action et rhétorique, un double enjeu

  • 44 Cf. Goux-Baudiment Fabienne, « Prospective et Innovation : fertilisation croisée », in Christofol H (...)

44Désormais, les interrogations portent davantage sur les mesures à prendre car il ne sert à rien, nous semble-t-il, d’attiser des peurs ancestrales ou de souligner inlassablement les incidences potentielles du réchauffement climatique, si l’incertitude scientifique est l’argument fondamental du statu quo. D’autant que l’inaction peut apparaître indéfendable au regard de l’urgence dénoncée. Que le facteur humain soit déterminant dans le réchauffement, on ne peut le nier, même si la part exacte de son influence fait encore débat. Néanmoins, il existe suffisamment d’éléments pour commencer à agir. Une fois encore, l’heure est à la prospective et plus à la science-fiction qui cherche dans l'ailleurs ce que la prospective cherche dans l'avenir (Goux-Baudiment, 2008)44.

45Cependant, est-il vraiment justifié d’entreprendre des modifications significatives ou « des changements douloureux » dans notre mode de vie sur la base de connaissances imparfaites ? Peut-on fonder des décisions importantes sur une science lacunaire ? Autrement dit, à l’instar de ce que Callon, Lascoumes et Barthes (2001) démontrent dans leur ouvrage : « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique », comment traiter un problème considéré comme non résiduel lorsque les connaissances nécessaires pour le faire ne le permettent pas ? Quelles actions promouvoir pour réguler le climat ? Parmi les nombreux modèles globaux climatiques, aucun ne prédit aujourd’hui la stabilité, même si certains laissent percevoir des tendances fortes. Pour relever le défi climatique, le politique tente alors des ajustements qui peuvent parfois reposer sur la pluralité d’options s’appuyant tant sur les technologies propres que sur l’incitation à une modification profonde de notre mode de vie, sans pour autant insister sur la nécessaire émergence de valeurs nouvelles et peut-être d’un nouveau projet social. Mais ne nous y trompons pas, comme l’a très bien démontré Yannick Barthes « il se pourrait bien que le problème soit dans bon nombre de cas rigoureusement inverse, la difficulté tenant moins à prendre des décisions « dures » qu’à faire preuve d’indécision et par conséquent à « assouplir » des décisions que l’histoire a contribué à rigidifier » (2006, p. 214). Or, l’indécision nécessite un pouvoir, notamment celui d’irréversibilisation, qui « préserve la possibilité d’une action future, y compris celle qui consiste à revenir en arrière ». Dans cette optique, le pouvoir de prendre aujourd’hui des décisions (« ni dures, ni molles ») qui anticipent le futur dans un contexte incertain (mou) suppose, de disposer d’un pouvoir « d’indécision » ou plus exactement suppose d’accepter que les décisions cessent d’être considérées comme « dures », d’autant qu’elles sont basées sur des connaissances « molles ». Autrement dit, il convient d’admettre que les décisions puissent être molles car basées sur des connaissances tout autant molles, sans pour autant que cela ne fragilise le pouvoir. N’est-ce pas là un paradoxe du développement durable qui devrait inciter le politique à prendre des décisions « dures », alors que l’incertitude oblige à une certaine flexibilité et au pragmatisme ?

  • 45 Jacques Lévy poursuit son explication dans son ouvrage et nous livrons ici la suite de son explicat (...)

46Si, néanmoins, on considère que le phénomène du réchauffement est établi à l’échelle planétaire, il existe cependant des zones de la planète où la température a diminué. Cette situation pourrait être source de controverses et un frein à l’action. Or, de quoi s’agit-il ici ? Il s’agit de distorsions significatives entre les températures de l’océan et celles des continents, entre les températures au sol et celles qu’on mesure en altitude. Celles-ci illustrent « notre incapacité à transformer des mesures linéaires en explications systémiques » ce qui jette le doute sur l’ensemble de la construction explicative. En fait, nous ne savons pas encore « relier de manière satisfaisante les mouvements linéaires que nous mesurons à des dynamiques systémiques »45 (Lévy, 2008). La question essentielle tourne autour de notre façon de produire du savoir scientifique et, en l’occurrence, autour des modèles et des scénarios proposés qui ne nous dispensent pas de garder à l’esprit une précaution raisonnée, eu égard aux controverses autour de la transparence des données et des méthodes utilisées.

47Ces débats, riches en discussions, contribuent en tout état de cause à rappeler que le réchauffement actuel n’est pas une question à prendre à la légère. En effet, ces limites auxquelles nous sommes confrontés nous acculent à ne pas surestimer nos connaissances mais également à ne pas surestimer la puissance humaine et, à la rencontre de ces deux éléments, à ne pas surestimer notre capacité à influer sur le climat de la planète. Pour autant, ce n’est pas notre impuissance qui transparaît mais, à l’inverse, l’acceptation de notre méconnaissance et, de façon plus générale, des savoirs non stabilisés qui ne nous permettent pas d’avoir la maîtrise de la situation. Les décideurs seront d’autant plus crédibles qu’ils s’appuieront sur ce paradoxe : il y a urgence à agir mais on ne connait pas complètement l’éventail des possibles et il n’est pas non plus question de changer de modèle économique. Jean-Louis Borloo déclarait à propos d’un changement éventuel de modèle économique : « oui sans doute, le concept même de concurrence doit-il évoluer. Car la dégradation de l’environnement est en partie due au fait que le marché ne dit pas la vérité sur les prix d’un point de vue écologique » (Régions magazine, septembre 2007, p. 6). Face à l’incertitude scientifique et à la reconnaissance de l’ubiquité du développement durable qui implique de repenser nos modèles de développement, le politique aurait tendance à répondre par des mesures traduisant une durabilité inachevée qui utilise l’environnement comme image.

  • 46 Cf. François Ost, 2001 : Le développement durable, de l’utopie au concept, Elsevier

48Souvent invoqué de manière symbolique ou incantatoire, n’est-il pas instrumentalisé pour maintenir un « consensus mou » et éviter les « solutions qui fâchent » (Scarwell, Roussel, 2006) ? Plus globalement, comment penser la durabilité et la mettre en œuvre dans une culture instantanéiste (Ost, 200146), alors même que le politique s’institue moraliste et évoque notre responsabilité à l’égard des générations futures ? Faut-il penser à partir de là que l’émergence d’une nouvelle forme de gouvernement légitimé par une plus grande ouverture vers la société civile est une des caractéristiques de la prise en compte puis de la gestion de certaines questions environnementales ? Car, finalement, n’a-t-on pas consacré le principe d’incertitude comme un principe d’action, de faire ou de ne pas faire ? Dans tous les, cas, il évite de se retrouver face à une situation d’impasse et, dès lors, « le temps joue alors autant comme réducteur que comme créateur d’incertitudes » (p. 215).

49De même, l’espace de controverses scientifiques autrefois « institutionnellement » délimité s’ouvre progressivement au débat de société, même si l’on a quelques couacs ici et là avec un cadrage plutôt serré du débat. Cette mise en visibilité éprouve à petite échelle les décisions qui en résultent et favorise les questionnements. Au final, les solutions reposent davantage sur des décisions techniques et sur un véritable processus démocratique s’appuyant sur des considérations sociales, politiques et morales qui dépassent les frontières de la seule sphère nationale (Kluzny et al. 1996). Mais il est vrai qu’en l’absence d’une gouvernance mondiale, on peut légitimement se demander comment le politique s’est emparé de cette question.

2.2. La maison brûle, mais nous montrons l’extincteur…

50Si tout le monde a entendu parler du changement climatique, il a fallu attendre qu’entre en vigueur le protocole de Kyoto, engageant les pays qui l’ont signé à réduire leurs émissions de GES.

51Faut-il en déduire que sans ce genre d’engagement politique et « citoyen », aucune avancée ne serait possible ?

  • 47 Le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ; en anglais : Internationa (...)
  • 48 Dans ses deux rapports, en 2001 confirmé en 2007 (Climate Change 2007. The IPCC 4th Assessment Repo (...)
  • 49 La prédiction de hausse des températures en surface pour la fin du XXe siècle présentée en 2007 se (...)

52De façon assez schématique, le regard du politique a évolué parallèlement à l’acceptation par la majorité des chercheurs des hypothèses soutenues dans le cadre du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC/IPCC)47. Hypothèses lancées dès 1988 et confirmées dans son rapport de 200148 et celui de 200749 puis soutenues conjointement par l’Académie des Sciences aux États-Unis et, en 2005, à l’occasion du G8. Qu’il y ait une minorité de chercheurs qui continuent à travailler sur des hypothèses contradictoires ne change rien au fait que l’un des enjeux les plus critiques pour l’humanité au XXIe siècle consiste à limiter les GES. D’ailleurs, le fait que Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre, ait déclaré en 2003 : « Les objectifs sont connus, ils sont précis. Il s’agit de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre avant 2050 à l’échelle de la planète. Pour nous, pays industrialisés, cela signifie une division par quatre ou par cinq » témoigne d’une prise en compte par l’État français des enjeux mais aussi des difficultés que cela induit. On peut le vérifier à travers les lois de programmation. En effet, au-delà de l’effet d’annonce, comment peut-on concrètement envisager une division de cette importance sans que cela n’entraîne une modification profonde de nos valeurs et de notre mode de vie ? L’enjeu du protocole de Kyoto est double pour le politique : comment répondre aux objectifs qu’il fixe tout en aspirant à une croissance soutenue pour maintenir les emplois et les acquis sociaux ? La question de savoir si la croissance est insoutenable est sous tendue car il est raisonnable de penser que l’action humaine est responsable du réchauffement au moins en partie. A ce titre, le changement climatique serait révélateur des vulnérabilités et s’analyserait alors en terme de risque pour les territoires et apporterait un éclairage utile à l’aune des enjeux du développement durable. En effet, comme le souligne Lionel Charles (2008), si le contexte du développement durable est susceptible d’apporter une réponse à la question du réchauffement climatique, l’une des ambiguïtés consiste à concilier l’urgence environnementale (telle que la compréhension qui se développe du réchauffement climatique permet de l’appréhender) avec le long terme du développement durable. Par ailleurs, « l’articulation entre les questions soulevées par le réchauffement du climat et d’autres champs de l’environnement » serait « tout sauf évidente ». Il reste à savoir si le risque climatique renforce les risques préexistants ou exacerbe les dysfonctionnements déjà existants (Bertrand et Larrue, 2008) ?

53Échelle d’intervention pertinente et montée en puissance des risques : la fin des certitudes scientifiques.

  • 50 Cette modernité est marquée par une rationalisation réflexive, c’est-à-dire une rationalisation qui (...)

54L’actualité du thème du risque a progressivement envahi non seulement l’espace médiatique, mais surtout la sphère sociopolitique comme l’expression d’une « modernité de notre société »50 (Beck, 2001) ou de sa vulnérabilité (Fabiani et Theys (dir.), 1987).

55Pourtant, alors que le nombre de catastrophes naturelles n’a pas augmenté, les sociétés modernes se vivent comme des « sociétés à risque » (Douglas et Wildavsk, 1983). Par « société du risque » il faut comprendre que les dirigeants politiques doivent faire des choix, en tenant compte des risques qu’encourt notre société.

  • 51 Jocelyne Dubois-Maury (2005) « Les risques naturels et technologiques » Problèmes politiques et soc (...)

56Comme le souligne Olivier Borraz dans l’introduction de son ouvrage « Les politiques du risque » : « le risque est intimement lié à la construction d’un État moderne capable d’assurer la sécurité de sa population contre différentes menaces » (2008, p. 11). Il s’agit d’une mission traditionnelle de la puissance publique qui a été marquée par de profonds changements. Aussi, toute catastrophe écologique agit-elle comme un signal d’alarme, ce qui nous renforce dans l’idée selon laquelle l’homme doit redéfinir ses rapports avec la nature et sa façon de l’appréhender. On notera que les fondements de la mission de prévention contre les risques étaient déjà présents dans les écrits de Hobbes ou de Locke, lesquels rappellent que la société demeure une réponse aux risques qu’encourt l’individu isolé et que « c’est pour être plus efficacement protégés, prémunis contre « l’état de nature » que les hommes décident de vivre en société » (Pontier, 2003, p. 1753). Paradoxalement, si la société peut être analysée comme une tentative pour réduire les risques de l’état de nature, elle comporte ou crée d’autres risques : risque sanitaire, risque social, risque naturel, risque technologique. La notion de risque s'impose de plus en plus, parallèlement à l'évolution de celle de responsabilité. Les exemples ne manquent pas pour le démontrer : dans le domaine social, naturel, politique ou environnemental, le risque est bien souvent lié à des inquiétudes sur l'évolution de l'environnement et des craintes concernant les connaissances et méconnaissances scientifiques. De même, on constate une évolution des niveaux de réponses relayées par les incitations d’instances d’organismes internationaux (conférences de Rio, de Kyoto, de Johannesburg...) et par les directives de l’Union européenne. Au cours des dernières décennies, les réponses sont passées d’une attitude de simple prudence à des stratégies élaborées de prévention et, plus récemment, à des actions fondées sur le principe de précaution, même si en termes concrets, les réponses aux risques relèvent de registres différents (Dubois-Maury, 200551). La mondialisation de nos sociétés a entraîné une globalisation du problème climatique et des risques. A présent, on s'intéresse au climat et à ses évolutions, ainsi qu'au temps qu'il fait à l'autre bout de la planète.

3. La prévention des risques, un problème à la croisée de la science et de la politique

  • 52 Jacques Lévy, Changement climatique, enjeu politique, EspacesTemps.net, Textuel, 29.03.2008

57Quand la société est réputée stable, comment interpréter la gravité des phénomènes observés auxquels s’ajoutent les conséquences supposées du changement climatique, si ce n’est comme de grandes réserves de vulnérabilité qui amènent le politique à proposer des atténuations ou des adaptations qui en minimiseraient les conséquences et permettraient d’anticiper la survenance d’événements climatiques extrêmes ? Face à la peur du déluge, le politique ne veut pas voir son discours « parasité ». Même si cela peut sembler paradoxal, l’ampleur du risque encouru conduit à agir vite alors que la connaissance suffisante pour permettre de prendre les décisions appropriées suggère de prendre du temps (Lévy, 2008)52. En revanche, l’ampleur et les formes des réponses apportées par les pouvoirs publics pour prévenir les risques sont liés au rôle de l’État. Ainsi, le préambule de 1946 impose à la République de « garantir » des catégories de personnes contre un certain nombre de risques, autrement dit la solidarité nationale apparaît comme le fondement d’une possible réparation. C’est pourquoi celle-ci ne saurait être envisagée indépendamment d’une politique de prévention.

  • 53 François Ewald et Denis Kessler, 2000, « Les noces du risque et de la politique », Le Débat, n° 109 (...)

58Faut-il considérer comme François Ewald et Denis Kessler que : « Le risque n'est pas seulement un objet de la politique, il définit un principe de politisation, un principe d'institution de la politique, un peu comme le contrat a pu l'être dans la philosophie du droit naturel » (2000, p. 5653) ?

  • 54 Rapport de Nicholas Stern sur l’économie du changement climatique du 30 octobre 2006

59Au sein de nos sociétés, le risque serait omniprésent et face aux nouvelles exigences d’ordre politique et social qui, selon Ulrich Beck, modifient non seulement notre regard sur le risque, mais également notre attitude face à lui, l’émergence du risque dans les discours et les pratiques devient une référence récurrente. A croire que la notion de risque « offre un moyen commode pour affronter la complexité qui nous entoure » (Borraz, 2008, p. 12). L’incertitude est donc au centre de nos préoccupations au point même que les différentes disciplines scientifiques l’ont intégré dans leur conceptualisation. Edgar Morin ne déclarait-il pas que « La connaissance progresse en intégrant en elle l’incertitude, non en l’excluant » ? Or, le changement climatique est porteur de risque et d’incertitude. L'ampleur du phénomène, la réalité de la catastrophe annoncée et ses causes sont loin de faire l'unanimité. Derrière ces controverses, on trouve un débat plus fondamental que l’on connaît bien depuis de longues années et qui porte sur la confiance que l'on peut avoir dans les modèles, en l'occurrence les modèles climatiques, qui simulent l'ensemble des interdépendances reliant les variables explicatives du climat. Les débats sur le changement climatique se font en effet à coups de modèles. Naturellement, il ne nous appartient pas de présenter un bilan critique des modèles climatiques, dont on pourra mesurer la complexité en se référant à la synthèse qu'en a faite, en 800 pages, le rapport Stern54 remis au Trésor britannique en 2006. Aussi, pour gérer ces risques, Ulrich Beck met en lumière de nouvelles formes de dépendance par rapport au savoir des experts et des scientifiques.

  • 55 Ulrich Beck, 2003 : La Société du risque - Sur la voie d'une autre modernité Flammarion - Champs, 5 (...)
  • 56 Lionel Charles, 2006 : « Environnement et développement durable, une interrogation », Territoire en (...)

60La reconnaissance des risques et leur prise en compte traduit leur politisation et leur construction comme problème public. Mais dans ces conditions, « le statut même du politique est profondément altéré dans la mesure où les choix qui en relèvent se placent pour une part en dehors de la sphère politique elle-même mais sont tributaires d’un ensemble beaucoup plus complexe d’initiatives ou d’analyses, y compris individuelles (…) (Charles, 2008, p. 164). Puisque le risque n’est plus une menace extérieure, mais bien un élément constitutif de la société, le politique a réalisé que cela entraînait une redéfinition de la dynamique sociale et politique. Ulrich Bech55 montre que l’universalisation du risque et sa perception ont modifié radicalement les cadres traditionnels de la politique, l’analyse des classes sociales, le rôle des États-nations. Plus que la lutte des classes et la répartition des richesses, c'est l'attitude face au risque – comment le répartir, le gérer, l'éviter qui détermine aujourd'hui les processus politiques et sociaux. En outre, le risque est global à tous égards. C’est donc l'apparition de menaces globales, transnationales, qui abolissent les différentiations traditionnelles aussi (« face aux risques, même les riches et les puissants ne sont pas en sécurité » p. 67). Ces risques produisent de nouvelles inégalités internationales, d'une part entre le Tiers-monde et les pays industrialisés, d'autre part au sein des pays industrialisés (p. 42). Le potentiel de conflit du fait de ces inégalités n'est pas négligeable, en particulier « entre les « pays sales » et ceux qui respirent l'air pollué, qui baignent dans la pollution des autres et doivent la payer du bilan de leurs morts, expropriations et dévalorisations » (p. 73). Dès lors, pour traiter du risque environnemental global, il convient de créer les conditions d’une vie durable. A ce titre, le politique souhaite écrire les futurs possibles car il considère que les perspectives d'avenir ne sont pas données, elles peuvent être négociées. Ainsi, du risque environnemental global au changement environnemental global, il n’y a qu’un pas (Smouts, 2008). Il apparaît de plus en plus clair que le prix de l’inaction risque d’être beaucoup plus élevé que celui de l’action (Hourcade, 2006) et qu’il est souhaitable d’agir aussi tôt et aussi fortement que possible. Comme le souligne Lionel Charles, « si donc le réchauffement ne constitue pas en lui-même une menace massive à très court terme, il implique cependant la confrontation à une urgence sur un autre plan, celui de l’action » (Charles, 2008, p. 3256).

3.1. Le développement durable au cœur de l’action politique

61Ce n’est pas parce que le Pacte écologique de Nicolas Hulot annonçait que « l’impératif écologique doit devenir le déterminant des politiques publiques » que déclaration et action s’accordent.

62En effet, c’est progressivement que le développement durable devient un référentiel international, notamment en raison de l’épuisement des ressources naturelles de la planète, de la déforestation, de la désertification, du réchauffement climatique et de la montée des eaux qui lui est consécutive. D’autant qu’il est censé assurer la satisfaction des besoins d’une génération sans sacrifier celle des générations suivantes. Ainsi, le développement durable ne rompt pas avec la cohésion sociale, il s’effectue dans le dialogue et la concertation. De tels propos ont fait du développement durable un concept puissant, au grand pouvoir d’attraction. Il est donc logique que dans la sphère du politique, la référence au développement durable ait ainsi connu une expansion extraordinaire, au point que toute solution politique y fait référence. D’aucuns diront que la formule a ainsi spectaculairement pris le pas sur le concept. Le développement durable n’est plus un guide pour des politiques, c’est un enjeu pour un discours. Ceci étant, si l’action politique ne doit pas conduire à la dislocation de la société, à la régression économique et à la destruction des richesses naturelles, il reste à confronter les méthodes et la pertinence des outils retenus pour agir. Autrement dit, il convient de mesurer l’écart entre les ambitions, issues d’une réflexion internationale, et les conditions de réalisation.

Tableau 3 : Récapitulatif de la chronologie de la diffusion des objectifs du développement durable par les conférences internationales et européennes

3.1.1. Au plan international

1960 : Conférence de Rome qui dénonce le danger d’une croissance économique et démographique exponentielle du point de vue de l’épuisement des ressources.
1972 : Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain à Stockholm à partir du problème des pollutions et pluies acides dans le Nord de l’Europe qui favorise la création de nouveaux organismes nationaux de protection de l’environnement et du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement).
L’expression « sustainable development » apparaît dans les années quatre-vingts pour la première fois dans un document de l’UICN (Union Internationale Pour la Conservation de la Nature).
1983 : création de la CMED (Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement) dont l’objet est de concilier les intérêts contradictoires des pays du Nord et du Sud. C’est dans ces circonstances que Madame Brundland, directrice du CMED, utilise le terme de « développement durable » dans un rapport (Rapport Brundland) devenu célèbre, « Notre avenir à tous », où elle met en évidence qu’il « convient de répondre aux besoins des générations actuelles, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » en prenant en compte trois piliers : les aspects écologiques, économiques et environnementaux.
1992 : Sommet de la Terre. La Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED) se tient à Rio de Janeiro. Ce sommet va élever au rang de concept la notion de développement durable et suggère de définir des programmes d’Actions 21 incitant les États et les collectivités à élaborer des agendas 21.
1995 : Sommet mondial pour le développement social à Copenhague où pour la première fois la communauté mondiale prend l’engagement d’éradiquer la pauvreté absolue.
1997 : Signature du protocole de Kyoto dont l’objectif vise à la réduction entre 2008 et 2012 des émissions totales de plusieurs gaz responsables de l’effet de serre d’au moins 5 % par rapport aux émissions de 1990. Par ailleurs, ce document engage les pays industrialisés.
2002 : Sommet de Johannesburg qui permettra une première évaluation des programmes d’action 21.
Sommet de Poznan de décembre 2008 : qui marque l'ultime étape d’une série de conférences annuelles organisées sous l’égide de l’ONU. C'est véritablement le début d’un compte à rebours au terme duquel les 192 du pays signataires de la Convention de l’ONU sur les changements climatiques devront obligatoirement aboutir à Copenhague en décembre 2009.

3.1.2. Au plan européen

Depuis le Traité de Maastricht (1992), l’Europe s’est engagée à établir une stratégie de développement durable. Les fonds structurels gérés par l’Union Européenne prennent désormais en compte le caractère durable des projets soumis.
1994 : Conférence d’Aalborg sur les villes durables qui aboutit à la signature de la Charte pour la durabilité. Le Conseil européen de Göteborg a adopté en 2001 une stratégie européenne du développement durable dont la mise en œuvre procède le plus souvent de directives communautaires.
2004 : 4e Conférence des villes et cités durables à Aalborg qui constitue une opportunité pour un appel à la mise en place d’Agendas 21 locaux en Europe
10 janv. 2007 : la Commission présente son paquet "Énergie et changement climatique" comprenant une analyse stratégique pour une politique énergétique portant à la fois sur les aspects externes et internes à la politique énergétique européenne. Le paquet contient des propositions pour des objectifs spécifiques sur :
- les énergies renouvelables (20 % d'ici 2020)
- les biocarburants (10 % dans les transports d'ici 2020)
- la réduction des émissions de gaz à effet de serre (20 % d'ici 2020) 9 mars 2007 : le Sommet européen approuve le paquet et convient d'un plan d'action de deux ans destiné à lancer une politique énergétique commune.
19 sept. 2007 : la Commission présente le troisième paquet législatif visant à achever la libéralisation des marchés européens de l'électricité et du gaz.
22 nov. 2007 : communication de la Commission sur le plan stratégique pour les technologies énergétiques (plan SET).
23 janvier 2008 : la Commission a présenté une série de propositions visant à transformer en lois les engagements politiques pris par les États membres en mars 2007. Il s’agit de réduire les émissions de CO2 et de gaz à effet de serre de 20 % d’ici 2020 et faire passer la part des énergies renouvelables à 20 % de la consommation de l’Union dans le même laps de temps.
Le paquet « énergie et climat » se concentre essentiellement sur deux propositions. L’une destinée à réviser et à renforcer le système européen d’échange de quotas d’émission (ETS) – le pilier de la politique européenne de lutte contre le changement climatique ; l’autre soulignant comment les États membres devraient diviser l’effort en matière de partage des réductions d’émissions de CO2 dans des secteurs non touchés par le système ETS. Le paquet renferme également une proposition sur un cadre juridique pour réguler le stockage souterrain du CO2 capté au cours de la génération d’électricité
mars 2008 : le Sommet européen décide d'adopter un paquet énergie/climat d'ici la fin 2008.
11 septembre 2008 : la Commission de l'Industrie du Parlement européen vote quasiment à l'unanimité en faveur d'un rapport destiné à faire passer la part des renouvelables dans la consommation d'énergie finale à 20 % d'ici 2020 (EurActiv 12/09/ 08).
7 octobre 2008 : la commission de l'Environnement du Parlement vote largement en faveur de trois rapports séparés sur l'échange de quotas d'émission, la réduction des gaz à effet de serre, le partage de l'effort et le captage et stockage du carbone (EurActiv 08/10/ 08).
nov. 2008 : seconde analyse stratégique pour une politique énergétique européenne.
11-12 déc. 2008 : le sommet de l'UE doit décider de la version finale du paquet énergie et changement climatique.
mars 2009 : le Sommet européen doit approuver la seconde analyse stratégique pour une politique énergétique européenne.
mars 2010 : le Sommet européen doit approuver le plan d'action sur l'énergie pour la période post 2010.
2020 : date visée pour atteindre ces objectifs.

3.1.3. La stratégie française

63L’État français et les pouvoir locaux se sont efforcés d’accompagner cette évolution par la production de textes législatifs et réglementaires destinés, d’une part, à promouvoir une culture du développement durable au sein de la société civile et, d’autre part, à favoriser l’émergence de pratiques de développement durable auprès des collectivités territoriales.

641993 voit la création du Comité Français du Développement Durable (CFDD) et du Comité 21.

65En 1995, mention est faite de l’expression développement durable dans la loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et dans la loi Pasqua du 4 février 1995 relative à l’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire.

66En fin de compte, au sommet de la Terre à Rio en 1992, la France s’est engagée comme les autres États à produire régulièrement un bilan de la mise en œuvre des engagements pris en matière de développement durable et une présentation à jour de sa stratégie en la matière qui identifie des objectifs mobilisateurs de l’ensemble des acteurs de la société. Aussi, dès 1996, la France, s’est dotée d’une première stratégie nationale de développement durable comprenant notamment une Commission française du développement durable. En 1997, cette stratégie a été abandonnée au profit d’un nouveau processus et d’une nouvelle stratégie. Celle-ci est d’abord composée d’un contenu, d’une série d’actions à mener, à laquelle on a ensuite ajouté un dispositif spécifique composé de trois instances : le comité interministériel pour le développement durable, le délégué interministériel au développement durable, coordonnant l’action d’un comité permanent des hauts fonctionnaires du développement durable et associant, conformément aux principes de Rio, la société civile aux actions de développement durable, enfin, un conseil consultatif, le conseil national du développement durable. Ce dispositif a été mis en place en 2002, à la suite de la déclaration du Président de la République Jacques Chirac au sommet de Johannesburg. Comme l’a déclaré M. Christian Brodhag, premier titulaire au poste de délégué interministériel au développement durable, la prise en compte du développement durable dans les régions est essentiel et « suppose l’irrigation par les problématiques de celui-ci de l’ensemble des politiques qui peuvent y être conduites ». A cette fin, le délégué veut mobiliser en région l’ensemble de l’action administrative et non seulement les services du ministère de l'écologie et du développement durable. Il a donc entrepris de travailler avec l’autorité de coordination des services, les préfets.

67De même, un grand nombre de textes de loi feront également des références récurrentes au développement durable comme la loi sur l’air du 30 décembre 1996 ou la loi sur l’eau du 3 janvier 1992. La LOADDT du 25 juin 1999 (loi Voynet) se réfère explicitement aux agendas 21 locaux ou encore la loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (Loi Chevènement) créent de nouveaux instruments juridiques et techniques pour initier des politiques de développement durable. C’est aussi la loi Gayssot du 13 décembre 2000 (SRU) qui favorise la mise en place d’outils de planification spatiale et vise à la cohérence des politiques d’aménagement tout en imposant la prise en compte du développement durable dans les nouveaux documents de planification : SCOT et PLU. La loi va jusqu’à énoncer une obligation de mise en compatibilité avec les PDU. La loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003 ne revient pas sur ce principe. Enfin, la loi du 23 février 2005 relative aux territoires ruraux fait 27 fois référence au développement durable.

  • 57 Cf. Rapport d'information, N° 2248, Délégation à l’aménagement et au développement durable du terri (...)

68La stratégie nationale de développement durable devait représenter le premier élément de concrétisation de ce dialogue. La stratégie nationale de développement durable (SNDD) a été adoptée le 3 juin 2003 par le premier comité interministériel pour le développement durable. A cet effet, la France s’est engagée à favoriser la mise en place de 500 Agendas 21 locaux sur la période 2003-2008. Cette stratégie nationale de développement durable a suscité nombre de doutes et de critiques tendant à dénoncer son manque d’envergure, le caractère évasif de son organisation, la faiblesse des moyens qui y sont consacrés, voire les incohérences du dispositif ainsi que des doutes sur les conditions d’élaboration et de suivi de la stratégie. La mise en évidence de ces faiblesses a conduit à une conclusion générale très circonspecte à l’égard de la volonté politique que traduirait la stratégie nationale de développement durable57. En définitive, est souligné « le décalage par rapport aux ambitions, alors que les enjeux pèseront de plus en plus fort, que les marges de manœuvre se réduisent avec le temps et que le coût de l’anticipation est infiniment moindre que celui de la réaction tardive ». Est tout particulièrement signalée : « la faiblesse des moyens alloués à la politique conduite comme à son dispositif ». Aussi, toute une série de questions doivent être posées : d’abord, sur la stratégie elle-même comme outil adapté aux défis du changement climatique ? Puis à propos de l’État et des outils dont il devrait se doter ? Par ailleurs, si le développement durable doit être un déterminant fondamental de l’action, il concerne chaque acteur. Dès lors, ne faut-il pas que tous les acteurs, et non seulement l’État, soient dotés d’outils destinés à cette fin ? En résumé, la stratégie nationale de développement durable se présente comme un catalogue d’actions sectorielles constitué de programme d’actions, d’outils d’orientation de l’action de l’État en matière de développement durable, et non comme un guide pour la conduite de l’action.

69On voit bien, dès lors, que « c’est du pouvoir politique délibérant que relève, en dernière analyse, la mise en place des références, des outils politiques et juridiques, qui permettent une déclinaison en actions par les pouvoirs administratifs, nationaux ou locaux, des principes du développement durable » (Rapport d'information, n° 2248, 2005, p. 43).

  • 58 Réuni en Congrès le 28 février 2005, il l’a solennellement intégrée dans le « bloc constitutionnel  (...)

70Ainsi, l’engagement politique s’est concrétisé notamment par l’adoption de la Charte de l’environnement58 laquelle a fait l’objet d’un vaste débat national avant d’être adossée au préambule de la Constitution de la France depuis le 1er mars 2005. Désormais, aux termes du préambule de la Constitution, le peuple français « proclame solennellement son attachement » non seulement « aux droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale définis par la Déclaration de 1789 et confirmés et complétés par le préambule de la Constitution de 1946 », mais aussi « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ». L’article 6 introduit nommément au sein du bloc constitutionnel le développement durable, dans sa triple dimension, avec le statut d’objectif des politiques publiques. Il énonce : « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable ». A cet effet, « elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » C’est bien le développement durable dans l’intégralité de ses dimensions intergénérationnelles, mais aussi sociales, économiques et environnementales, qui est inséré dans le préambule de la Constitution française. Une telle démarche politique était seule de nature à crédibiliser mais aussi à légitimer les ambitions et l’affirmation des démarches de développement durable en France.

71Puis, les 15 et 16 juin 2006, le conseil des ministres européens a adopté sa nouvelle stratégie européenne, et en novembre 2006, le Comité interministériel pour le développement durable a adopté l’actualisation de la stratégie nationale de développement durable. Depuis 2007, le Président de la République s’est directement impliqué dans l’émergence de cette idée-force au point que la France se trouve aujourd’hui confrontée à une obligation morale de réalisation. Désormais, l’ancrage du développement durable doit devenir significatif sur le territoire français.

3.1.4. La stratégie nationale de développement durable et la mise en place des agendas 21 : des accélérateurs de prise de conscience ?

72Depuis le rapport « Bruntland », le développement durable est devenu un principe opératoire, au point que cette notion a perdu son sens initial. Néanmoins, demeure l’idée assez largement répandue que le « développement durable » participerait à l’aménagement du territoire et serait le nouveau leitmotiv en ce début de XXIe siècle. A ce titre, sa prégnance forte, non seulement dans le discours politique, mais aussi sa référence dans un grand nombre de textes, confine selon Jean-Marie Pontier « au bégaiement » (Pontier, 2000). Mais la question est de savoir si ce « buissonnement normatif » (Dupuy, 1991) est suivi d’effets, car l’on peut émettre certains doutes. Le développement raisonnable se conjuguerait avec l’émergence d’un troisième temps de la responsabilité. En effet, après la responsabilité-sanction (imputation d’une faute centrée sur l’auteur et son comportement dommageable), la responsabilité indemnisation (fondée sur le risque et centrée sur la victime), nous entrons dans le temps de la responsabilité de l’avenir, comme responsabilité-anticipation fondée sur la prévention des risques et la préservation des intérêts environnementaux, et axée sur les générations actuelles et à venir. Si le principe est intégré par le politique, celui-ci ne recherche-il pas à l’intégrer pour complexifier les enjeux ? Car s’il s’agit d’intégration parmi les objectifs prioritaires des politiques territoriales, en application des lois et des réglementations, il s’agit également de faire évoluer son discours pour être dans l’air du temps ou pour capter de nouvelles opportunités de financement.

4. La mise en scène politique du changement climatique

73La multiplication des événements climatiques extrêmes sur l’ensemble de la planète comme sur le territoire français semble avoir fait passer la question des changements climatiques d’une question strictement scientifique concernant un avenir lointain pour devenir un enjeu actuel éminemment politique. Le gouvernement s’est donc engagé a mettre en œuvre une politique ferme tant en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre que pour mieux comprendre les effets du réchauffement.

4.1. La mise en place de l’ONERC

  • 59 Loi n° 2001-153 du 19 février 2001 tendant à conférer à la lutte contre l’effet de serre et à la pr (...)

74L’ONERC a été créé par la loi du 19 février 200159 afin d’informer sur les conséquences du réchauffement climatique et pour offrir au gouvernement, au Parlement, aux élus et aux collectivités, acteurs du développement, les moyens d’élaboration d’une véritable politique de prévention et d’adaptation. En réalité, l’ONERC a été crée par l’État avec la volonté d’encadrer les initiatives des collectivités territoriales et de donner aux préfets des informations suffisantes pour définir une politique territorialisée de prise en compte de la question climatique et notamment dans sa dimension santé-environnement.

  • 60 http://www.ecologie.gouv.fr/IMG/pdf/RapportOnercpmAdaptation.pdf

75Avec l’ONERC, le réchauffement climatique a cessé d’être une question uniquement globale, inscrite dans un espace-temps qui nous dépasse, pour être une question qui concerne de plus en plus notre quotidien et met en cause nos habitudes de vie, notre santé ou l’aménagement des communes. C’est pourquoi, dans son premier rapport présenté en 200560 et intitulé « Un climat à la dérive : comment s'adapter ? », l'ONERC avait demandé au gouvernement de finaliser le plus vite possible la stratégie nationale d'adaptation aux conséquences du changement climatique prévue dans le Plan climat 2004. L'Observatoire avait également suggéré au gouvernement de réfléchir à la mise en place d'un fonds spécifique pour financer les actions d'adaptation au changement climatique en France et avait proposé 90 indicateurs pour suivre localement les impacts (eau, énergie, habitat, transports, santé, agriculture, biodiversité).

76De l’avis unanime des experts du GIEC, de l’Agence européenne de l’environnement, comme de l’Organisation météorologique mondiale, la multiplication des événements climatiques extrêmes sur l’ensemble de la planète comme sur le territoire confirme bien l’urgence d’une politique ferme en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais elle oblige aussi à mieux comprendre les effets du réchauffement et à mettre en œuvre une véritable politique pour s’adapter à cette évolution dont les changements climatiques sont déjà en cours et dont les effets commencent à entrer en action. Mais comment procéder ?

  • 61 GIEC, Bilan 2001 des changements climatiques : rapport de synthèse, 2001, sur le site Internet www. (...)
  • 62 AllarD P., 2008 : Malaise dans la climatisation, le changement climatique et la sécurité des Etats, (...)

77Face à l’évolution du climat, les experts soulignent qu’il « reste très difficile de simuler avec des modèles climatiques des événements de courte durée et de forte intensité » et rappellent que « certains phénomènes de portée très limitée tels que les orages, les tornades, la grêle ou les éclairs ne sont pas simulés dans les modèles. Par ailleurs, l’évolution éventuelle des cyclones extra-tropicaux n’a pas fait l’objet d’une analyse approfondie par les experts »61 ;. Aussi, comme le souligne Patrick Allard (2008)62 « En compensation, les experts mettent l’accent sur l’analyse des vulnérabilités de certaines régions ou certains pays, en examinant comment les pressions observées dans le présent, en particulier les pressions d’origine démographique ou socio-économique comme l’utilisation des terres, la déforestation…, pourraient être aggravées dans le futur, par la croissance démographique et par les changements décrits par les projections des modèles généraux, parfois complétés par des modèles régionaux ou locaux ». Cette analyse en terme de vulnérabilité n’a rien d’étrange dans la mesure où « Nous abordons donc un domaine nouveau, relevant de la gestion des risques, dont les conséquences, sociales, économiques, sanitaires et environnementales sont colossales et porteur d’éléments de déstabilisation de l’économie comme de changements profonds sur les modes de vie des Français » (Rapport ONERC 2005). On lit plus loin dans le chapitre V de ce même rapport : « L’analyse de la vulnérabilité devra être effectuée dans tous les domaines. L’ONERC se propose notamment d’établir à terme une cartographie de la vulnérabilité, afin de contribuer à la diffusion de l’information sur ce sujet » (chapitre V, conclusions et recommandations, 2005). Toutefois, il n’est rien moins que certain qu’on puisse identifier, à partir des vulnérabilités aujourd’hui existantes, des priorités pertinentes pour l’avenir. Dès lors, la solution préconisée tourne autour d’une stratégie d’adaptation, ce que rappelle Paul Vergès, Président de l’ONERC, dans son rapport « Changements climatiques et risques sanitaires en France : « L’environnement, la santé publique, mais aussi tous les secteurs de l’activité humaine vont subir les conséquences du réchauffement climatique et il est devenu plus qu’urgent de s’adapter à la situation » (…) « La question n’est donc plus de savoir s’il faut s’adapter, mais quand et comment » ou encore : « Une réflexion sur les vulnérabilités sectorielles constituera l’occasion de développer un certain nombre d’indicateurs de vulnérabilité construits de manière simple et transférable à partir des résultats des scénarios climatiques, pour encadrer les vulnérabilités potentielles dans l’attente d’études d’impact plus approfondies. Les secteurs qu’il convient ici d’examiner sont ceux que l’on sait déjà sensibles aux aléas météorologiques (gestion de l’eau, production d’énergie, habitat, transports, santé, agriculture, biodiversité) » (2007).

4.2. Le Grenelle de l’environnement : un Grenelle obsolète ?

  • 63 Il s’agit d’un collectif de 82 associations. Leur site : http://www.lalliance.fr/Associations-membr (...)

78À l'échelle internationale, le GIEC à insisté sur le fait que, même si tout est mis en œuvre pour éviter les dérèglements climatiques (notamment par la réduction des émissions de gaz à effet de serre), les dérèglements seront inévitables, du fait de l'inertie du système climatique, et demanderont désormais de la part de tous une nécessaire adaptation, c’est-à-dire comme une étape intermédiaire entre le diagnostic réalisé par les scientifiques et la mise en œuvre d'un plan d'action. Il s’est donc avéré nécessaire d’insuffler une dynamique rompant avec une certaine forme d’attentisme dans le domaine de l’environnement adopté jusque là. En France, cela s’est traduit par la mise en place d’un processus politique complexe, le Grenelle de l’Environnement, qui s’est tenu de début juillet à fin octobre 2007 et correspondait à l’engagement électoral pris par les candidats à la présidence de la République lors de la signature du Pacte écologique de Nicolas Hulot et réitérée en mai 2007, après l’élection présidentielle devant le collectif d’associations environnementales « Alliance pour la planète63 ».

79Ce processus s’est achevé avec un discours élyséen très solennel le 25 octobre 2007 sur lequel nous reviendrons longuement dans les pages qui suivront. Ce Grenelle s’est déroulé en plusieurs phases qui ont toutes donné lieu à une intense médiatisation.

80Mais si auparavant le politique a souvent été en retrait et a été devancé par les scientifiques, les ONG et les médias, il va cette fois les précéder en transformant cette manifestation en grand show médiatique qu’il orchestrera lui-même. En cela, le recours au Grenelle et à sa médiatisation politique procède en lui-même d’une méthode de gouvernement destinée non pas à égarer l’opinion publique sur la légitimité des décisions prises mais à brouiller ses repères. En convoquant les experts, le politique ne cherche–t-il pas à créer de la confusion entre ce qui relève de l’expertise et ce qui relève de la décision politique, même si nous savons que le politique ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour appréhender une situation chargée d’incertitude et que sa position est parfois inconfortable et délicate, notamment à l’égard de l’opinion publique dont procède sa légitimité.

  • 64 L'Observatoire national des effets du réchauffement climatique

81C’est pourquoi le recours à une négociation à cinq, la reconnaissance d’actions structurantes, le pilotage et le portage administratif et politique résultant de la réorganisation du MEEDAT et de la création plusieurs années auparavant de l’ONERC64 illustrent un tournant dans la recherche des stratégie d’actions. « La multiplication des événements climatiques extrêmes sur l’ensemble de la planète comme sur notre territoire confirme bien l’urgence d’une politique ferme en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais elle oblige aussi à mieux comprendre les effets du réchauffement, et à mettre en œuvre une véritable politique pour s’adapter à cette évolution » (premier Rapport ONERC, 2005).

82Mais l’action des sociétés face à ces annonces de changement oscille entre deux démarches : d’une part, l’atténuation (ou mitigation) des causes anthropiques (intervention humaine pour réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre ou augmenter le stockage de ces gaz par des puits et, d’autre part, l’adaptation par l’ajustement des systèmes naturels ou humains face à un environnement changeant. Cette stratégie peut être anticipée ou réactive, publique ou privée, autonome ou planifiée (ONERC). Le choix de l’une ou l’autre stratégie ou de leur complémentarité est inscrit dans les politiques publiques et exprime des postures qui ne sont pas allées de soi et qui posent aujourd’hui encore un certain nombre de questions que nous ne pourrons envisager ici que très brièvement : « L’adaptation de notre territoire aux changements climatiques est devenu un enjeu majeur qui appelle une mobilisation nationale. Sur proposition du conseil d’orientation de l’ONERC, pour la première fois cette année, figure dans le plan climat – à côté du volet relatif à l’atténuation – un volet spécifique consacré à l’adaptation. C’est là une avancée importante car une politique aussi globale qu’équilibrée doit impérativement reposer sur ces deux piliers » (Rapport ONERC 2005).

  • 65 Cf. Kergomard C., 2007 : « L’Arctique face au changement climatique », Annales de Géographie, n° 65 (...)
  • 66 La MIES constituait une vitrine politique en quelque sorte face à la Convention des Nations-Unies

83Si l’atténuation a été privilégiée à la fin des années 1990, notamment à travers le protocole de Kyoto ou même à travers le Plan climat français de 2004 ou encore le Grenelle de l’environnement, c’est maintenant depuis la Conférence de Bali en 2007 que l’adaptation semble être privilégiée. Pour autant, les choix ne sont pas aussi tranchés car aussi longtemps que l’évaluation des risques climatiques demeure tributaire d’incertitudes, la prise de mesures adaptées semble complexe, à commencer par la conception même de variabilité du climat (Kergomard, 200765). Avec l’amorce d’une démarche centrée sur l’adaptation, se trouve posée la question de la transposition. Le rattachement de la Mission interministérielle sur l'effet de serre (MIES)66 et de l'Observatoire national des effets du réchauffement climatique (ONERC) au service du développement durable, participe à cet objectif.

4.3. Une réponse possible au réchauffement climatique : une stratégie d’adaptation progressive

84L’adaptation constitue désormais un élément central de la stratégie nationale en matière de changement climatique et exprime le point de vue de l’État sur la manière d’aborder cette question. Même s’il existe des incertitudes dans les prévisions des impacts futurs, ces scénarios « catastrophes » ne sont pas purement fictifs mais représentent une réalité potentielle si aucune mesure n’est prise.

  • 67 Cf. les journées organisées par NSS : journées NSS-Dialogues 2008 « Changements climatiques : l’ada (...)

85Pourtant, le concept même d’adaptation ne va pas de soi. Il soulève des questions essentielles, notamment en ce qui concerne sa définition et la dimension des échelles spatio-temporelles auxquelles il convient d’adapter les politiques publiques (Tableau 4). Existe-t-il une alternative ou s’agirait-il d’une option par défaut ? Certains considèrent que le concept d’adaptation serait devenu à la mode67 et impliquerait « un pari sur la souplesse du monde vivant et sa capacité à se maintenir ou même rétablir un équilibre, alors que les variations climatiques survenues sont d’une ampleur inconnue depuis plus d’un siècle » (Moulin, 2008).

Tableau 4 : Les deux volets de la politique climatique : atténuation ou adaptation. D’après Bertrand, Universités d’été - Lille DIACT, 2007

Diminution ou atténuation des causes

Gestion ou adaptation des effets

Identifier les causes et voir le lien avec le territoire

Identifier les effets sur le territoire et les actions pour modifier et réparer

Répartition des causes et des actions sur le territoire

Répartitions des effets et des actions sur le territoire

5. Conclusion

86Si l’adaptation au changement climatique semble s’imposer, il reste à considérer par quelles démarches concrètes. Il existe en effet de nombreuses possibilités d’adaptation qui pourront contribuer à réduire les conséquences néfastes du changement climatique et à renforcer ceux qui seront bénéfiques, mais qui entraîneront des coûts. En revanche, l’adaptation sera plus difficile dans le cas d’un changement climatique plus important et plus rapide. Aussi, dans certains cas, il faudra agir dès maintenant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre en vue de stabiliser les concentrations atmosphériques, ce qui devrait retarder les dommages dus aux changements climatiques. Dans d’autres cas, des mesures d’adaptation pourront être complémentaires aux efforts d’atténuation des émissions dans le cadre d’une stratégie économique visant à réduire l’ensemble des risques liés au changement climatique. En conséquence, s’agit-il de penser l’adaptation comme fin en soi ou de « créer de la durabilité au regard des menaces que fait peser le changement climatique » (Magnan, 2008) ? Il est évident que derrière la question de l’intérêt conceptuel de l’adaptation se profilent en toile de fond les logiques de développement durable.

Quelles sont les questions qu'on peut poser sur le climat ?

Pour tout expliquer, il répond à 10 questions autour du sujet du changement climatique :.
Météo et climat : quelle différence ?.
Qu'est-ce que l'effet de serre ?.
Pourquoi la planète se réchauffe ?.
Les activités humaines sont-elles les seules responsables ?.
La planète se réchauffe-t-elle partout ?.

Comment Peut

Il peut s'agir de variations naturelles, dues par exemple à celles du cycle solaire. Cependant, depuis les années 1800, les activités humaines constituent la cause principale des changements climatiques, essentiellement en raison de la combustion de combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz.

C'est quoi le changement climatique un jour une question ?

Pour résumer, les rayons du Soleil frappent notre planète, la réchauffent et repartent vers l'espace en traversant notre atmosphère. Certains gaz, comme le dioxyde de carbone, empêchent une partie de ces rayons de s'échapper dans l'espace et les renvoient vers la Terre… ce qui la réchauffe encore.

Comment la question du changement climatique S'est

1Le changement climatique et ses effets semblent désormais avérés et liés, au moins en partie, à l'effet de serre additionnel d'origine anthropique, ce qui se traduit par l'inscription de cet enjeu majeur sur les agendas politiques mondiaux, européens et français.